1755-01-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.

Voicy le fait monsieur, je prends la liberté d'écrire à mr le comte d'Argenson en faveur d'un avocat de Colmar, et je suis comme le petit suisse du comte de Grammont, je demande pardon de la liberté grande.
Une recommandation d'un suisse en faveur d'un alzacien n'a pas un grand poids, mais si vous connaissiez mon alzatien, vous le protégeriez. C'est un homme qui sait par cœur votre histoire de France, c'est le seul homme de lettres du pays, c'est le meilleur avocat, et le moins à son aise; chargé de six enfans. Il s'agit d'une place dans une petite ville affreuse nommée Munster. Il s'agit de rendre heureux mon ami intime. Il s'appelle Dupont. Il demande d'être prévost de Munster, et il est assurément très indiférent à monsieur Dargenson que ce soit Dupont ou un autre qui soit prévost de ce village appelé ville impériale.

J'ose vous supplier avec la plus vive instance d'en parler à monsieur d'Argenson. Vous aurez le plaisir de donner du pain à toutte une famille, et d'être le protecteur d'un homme très estimable. Je vous jure que vous ferez une belle et bonne action, et je vous conjure de la faire.

Je suis presque perclus de tous mes membres dans un beau châtau, en attendant la saison de prendre les bains d'Aix en Savoye. L'état cruel où je suis ne me permet d'écrire que dans les grandes occasions, et c'en est une très grande pour moy de vous supplier de faire la fortune de Dupont mon ami.

Si jamais j'ay de la santé et de l'imagination, j'écrirai à madame du Deffant, mais je suis impotent et rabéti. Je ne vous en suis pas moins tendrement attaché. Comptez que dans toutte la Suisse il n'y a personne d'aussi pénétré que moy d'estime, de reconnaissance et de dévouement pour vous.

V.

Je me joins à Mon Oncle Monsieur en faveur de Mr Dupont. C'est un homme qui a fait toute notre resourse à Colmar. Il joint à beaucoup d'esprit et de connoissences toutes les qualitez du coeur. Il a six enfans, est bon Père, bon Mari et bon ami, enfin c'est un suget digne d'être protégé par vous. Je vous le recommende de toutes mes forces, et nous nous croirions heureux s'il pouvoit obtennir cette place. Nous ne sommes ici que pour attendre la saison des beins. Je vous suplie de ne me pas croire en Suisse car je ne m'i crois pas moi même. Mais dans quel que lieu que je sois Monsieur ne doutez pas de mes sentimens pour vous. On ne peut vous connoitre quand on sçait sentir sans vous être tendrement attaché pour sa vie.

Denis