1753-10-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Comment madame! esce que vous n'auriez pas reçu la lettre dattée de mes montagnes, et mes remerciments des belles nouvelles de la fermeté romaine du grand Chastellet de Paris?
Tout ceci est le combat des rats et des grenouilles. On songe à Paris à de misérables billets de confession, et on ne songe ny à la petite vérole n'y à l'autre. Ces deux damoiselles font pourtant plus de ravages que le clergé et le parlement. On voit tranquilement nos voisins les anglais se garantir au moins de la petite. Vous n'entendrez parler à Londres d'aucune dame morte de cette maladie. L'insertion les sauve, et on n'a pas eu encor le courage de les imiter. Mr de Baufremont est le seul qui ait fait inoculer un de ses enfans, et on s'est moqué de luy. Voylà tout ce qu'on gagne en France. Tout ce qui est au dessus des forces de la nation est ridicule. Si j'avais un fils je luy donnerais la petite vérole avant de luy donner un catéchisme.

Je retournerai bientôt de ma solitude dans la grande ville de Colmar. J'ay été voir les ruines du châtau de Horbourg sur les quelles j'avais quelque dessein de bâtir une jolie maison. Il s'y trouve quelques difficultez. Le Duc de Virtemberg a un procez pour cette vénérable mazure au conseil privé, et je n'iray pas bâtir un hospice qui aurait un procez pour fondement. Mais madame on m'a dit un mot du beau châtau de mr votre frère. N'esce pas Overkeim, ou quelque nom de cette douceur? Il est je crois difficile de le vendre, n'apartient il pas à des mineurs? Mais personne ne l'habite, et si la maison et le jardin ne sont pas compris dans le fief invendable, si on peut louer le châtau avec les meubles qui y sont, en attendant que la famille s'arrange, ne serait ce pas l'avantage de la famille? Je le louerai si on veut, je feray un bail, je payeray un an d'avance pour faire plaisir à la famille, et pour pot de vin je vous feray un petit quatrain pour votre tableau. Mais à qui faut il s'adresser et comment faire? Ma proposition n'est elle pas indiscrette? Je ne vous dis touttes ces rêveries, que parce qu'on m'a déjà pressenti sur un accomodement concernant ce châtau. N'y viendrez vous pas madame avec votre charmante amie? Vous sentez bien que la maison serait à vous, et que je n'y serais que votre intendant. Mandez moy je vous en prie ce que vous en pensez, si on veut vendre à vie, si on veut loüer, si on peut s'arranger. J'ay la meilleure partie de mon bien à la porte de Colmar. J'ay envie de me faire alzacien pour vous, la fin de ma vie en sera plus douce. Je n'ay vu qu'en passant l'abbé de Munster, il est occupé à Colmar, il m'a paru fort aimable. Il a tué du monde, il a fait l'amour, il est poli, il a de l'esprit, il est riche, il ne luy manque rien. Les processions de Rouen n'ont pas le sens comun. Ce n'est plus le temps des processions de la ligue. De petites cabales ont succédé aux grandes civiles. Il faut payer son vingtième, se chaufer et se taire, le reste viendra. Mille tendres respects mesdames.

V.

Je reçois dans ce moment votre lettre du 17. Votre magistrat n'avait donc pas de vin du Rhin?

Esce que madame de Maintenon donna une Sunamite à son David?