15e avril 1768
Je suis plus étonné, Monsieur, du souvenir dont vous m'honorez, que de vous voir entreprendre un ouvrage utile.
La vieillesse de mon corps et de mon esprit ne me permet pas de vous être du moindre secours; mais elle ne m'empèche pas de sentir vivement tous les droits que vous avez à mon estime. Des généalogies raisonées, sobrement enrichies de faits intéressants, et ornées des caractères des principaux personages peuvent fournir sans doute un ouvrage nécessaire à tous les hommes d'état et agréable pour tous les lecteurs.
J'avoue que le nombre des aïeux que vous faites monter dans seize générations à cent trente un mille soixante et onze personnes passe mes connaissances. Je ne conçois pas comment on peut avoir des générations en nombre impair à moins que quelque grand mère ne se soit avisée d'accoucher sans qu'aucun homme s'en mêlât, ce qui n'est arrivé, ce me semble, qu'à la vierge Marie dans l'écriture et à Junon dans la fable.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que tout homme, soit charbonier, soit Empereur, doit compter dans seize quartiers de père et de mère 109616 personnes, tant mâles que femelles. C'est à vous à voir si mon compte est juste. Je vous souhaite autant de pistoles que vous trouverez d'aïeux.
J'ignore pourquoi vous dites que le maréchal de Bellisle fut le premier homme tîtré qui acceptât la place de secrétaire d'état. Avant lui sous Louïs 14, pendant la Régence, Le maréchal de la Mailleraie, le Duc De la Vieuville avaient gouverné les finances. Le Maréchal d'Ancre, Le comte de Schomberg, Le Connétable de Luines, avaient signé comme secrétaires d'Etat. Le cardinal de Richelieu fut secrétaire d'Etat étant Evêque de Luçon. Le marquis D'O, le comte de Sancy, Le Duc De Sully, avaient des patentes de secrétaires d'état et gouvernèrent les finances sous Henri 4; et il fallait être reçu secrétaire du Roi pour signer en son nom.
Vous me paraissez, Monsieur, un très bon chrétien, de ne compter que 174 générations parmi les hommes. Les peuples de l'orient ne s'accommoderaient pas de ce calcul et la bible qu'on appelle des septante, pourait bien contredire un peu la bible dite la vulgate. Vous et moi les respectons toutes deux également sans prétendre à l'honneur de les concilier.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, Mr, vôtre.