de Roüen le 28 Xbre 1730
Vous faisant mon remerciment
De vostre très riche présent,
Je devois bien en simple prose
Vous dire le plus uniment
Que pareils n'aurés nullement
Et que c'est à quoy l'on s'expose
De donner magnifiquement,
Que tel Poëme est une chose
Qui ne se vit que rarement,
Que l'Antiquité n'en oppose
Que deux ou bien trois seulement
Qu'on luy compare décemment,
Que l'avons lu sans nulle pause
Tant on le lit avidement . . . .
Puis il faloit adroitement
Aux complimens joindre une dose
De tendresse et de sentiment.
C’étoit tout, ma lettre étoit close . . . .
C'est ce qu'a fait un de mes deux amis,
Il faloit bien l'imiter, ou me taire,
C’étoit à luy d'amuser le Tapis
Et de chanter. Vous eussiés crié bis,
Car prime en chant et sur toute matière,
Vous trouverés en luy génie exquis.
Nostre autre amy fait sans doute encor pis,
Il n’écrit point, pouvant bien mieux le faire
Que moy chétif, il est dans l'embaras
De dire assés de vous tout ce qu'il pense,
Pour s'en tirer, il me met sur les bras
Soin périlleux d'en faire la dépense,
Or sentés trop que quand il s'en dispense
En m'en chargeant, vous n'y gagnerés pas;
Pour vous d'ailleurs il fait tout le fracas
Que mérités, et dit qu’à l'excellence
De grand Esprit, vous joignés les apas
De coeur bienfait, et vous donne le pas
Sur ce qu'avons de beaux esprits en France.
Mais que Loüange est pour vous un vain bruit
Quand un Démon vous fixe en vostre lit,
Quand vostre sang tous les deux jours frissonne,
Et tost aprés s’émeut, frémit, boüillonne
De chaud si vif, que tour à tour sentés
Les froids hivers et les brûlants Etés.
Vous expiés le crime d'estre aimable,
Vous éprouvés ce que soufrit Jsis.
Pour avoir plu, Junon impitoyable
Plongea ses sens de la glace transis
Dans les horreurs d'un Enfer effroyable;
Consolés vous, Jupiter s'en vangea
Et son Jsis n'en sortit que plus belle.
Au rang des Dieux luy mesme la plaça,
Et subvenant à la Race Mortelle
Contre ces maux dès l'instant il planta
L'arbre divin apelé Quinquina.
Des dons du Dieu faites usage
Cher amy, pour vostre santé,
Mais gardés vous que le breuvage
Par supôts de Junon soit encore infecté,
Bien des Démons servent sa rage
Sous l'habit de la faculté . . . .
Je crois de plus sous cette image
Entrevoir une vérité;
Comme autrefois d'Jsis la trop grande beauté
Emut les fureurs du Cocite,
L'aspect importun du mérite
A cent fois l'Enfer excité . . . .
Quand l'envieuse Déité
En voyant vos succès s'irrite,
Songés donc que de soy Jalousie est petite,
Qu'elle a beau se hausser, que son effort perdu
N'atteignant jusqu’à vous, loin de vous faire outrage
Devient une sorte d'homage
Qu'elle rend à vostre vertu . . . .
Malgré tout on verra toujours briller Voltaire,
Malgré les complots du vulgaire
Brutus si souhaité, trop long temps attendu,
Fera les charmes du Parterre,
Junon, L'Enfer jaloux ne peut vous outrager
Jupiter soutient vostre Cause,
Et ce sera toujours par une Apothéose
Que le ciel saura vous vanger.