[c. 15 December 1738]
Voici une instruction pastorale que j'adresse à une de mes ouailles de Remusberg.
Si la morale ne vous en paraît pas toute divine, vous la trouverez du moins fort sortable avec l'humanité. On me traiterait de profane et d'impie, si l'on savait que j'ai dit qu'il est encore problématique si la chasteté est une vertu ou non; que l'équité et l'humanité sont les seules vertus; et que ce ne doit point être les craintes d'un enfer, des démons et de je ne sais quelles billevesées qui doivent nous inspirer l'amour de la vertu.
Dans mon système de morale tout homme raisonnable doit pratiquer la vertu, parce qu'il est de son intérêt d'être vertueux, et parce que la vertu a des attraits indicibles pour une âme bien née.
Je ne sais aucun gré à un homme violent de ce qu'il ne se porte point envers moi jusqu'à la dernière extrémité par l'appréhension de l'enfer; mais je me sens pénétré de reconnaissance envers une personne qui me fait quelque bien par sentiment et par bonté de cŒur. Je suis persuadé que le philosophe de Cirey et la déesse du newtonisme seront de mon sentiment. Il n'y a, selon moi, rien de plus simple et de plus naturel; ce serait le triomphe de la raison que de voir des hommes sans erreurs, et ce serait celui de la vertu que de les voir humains par discernement. Il est à craindre que ce phénomène ne se verra guère autre part qu'à Cirey, cet endroit aimé des cieux, cet endroit où il paraît que la nature eût voulu assembler tout ce qu'elle a trouvé de plus achevé dans l'univers.
Je prie le poète philosophe de vouloir bien me communiquer ses idées sur cette morale. J'espère que vous ne la traiterez pas comme Despréaux celle d'Abelly.