1738-12-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je ne suis point du tout de l'avis de madame du Chastelet sur le commencement de L'épitre sur l'égalité des conditions et les premiers vers amy dont la vertu toujours égale et pure satisfont mon cŒur, et mon esprit, bien plus que la leçon que je faisois à Hermotime.

Le mot afreux deux fois répété dans l'épitre sur la modération n'y est plus.

Vivre avec un amy toujours sûr de vous plaire
Exige en tout les deux une âme non vulgaire.

Ces deux vers dont je n'ay jamais pris le party sont corrigez ainsi,

Ah pour vous voir toujours sans jamais vous déplaire
Il faut un cŒur plus noble, une âme moins vulgaire.

Enfin je corrige tout avec soin. L'objet de ces six discours en vers, est peutêtre plus grand que celuy des satires et des épîtres de Boylau. Je suis bien loin de croire les personnes qui prétendent que mes vers sont d'un ton supérieur au sien. Je me contenteray d'aller immédiatement après luy.

Je vous avois prié de donner à mr Dargental une copie de L'épître sur la nature du plaisir qui commence ainsi,

Jusqu'à quand verrons nous ce rêveur fanatique.

Elle demande encor des adoucissements, il faudra luy donner son passeport. Je vous enverray bientôt la tragédie de Brutus entièrement reformée, et défaite heureusement des églogues de Tullie.

Je vous enverrai Œdipe tout corrigé et vous aurez encor bien autre chose. Que Dieu me donne vie, et vous serez content de moy. Je brûle de vous faire voir les corrections san fin de la Henriade. Si le royaume des cieux est pour les gens qui s'amendent, j'y auray part. S'il est pour ceux qui aiment tendrement leurs amis, je seray un saint. Platon mettoit dans le ciel les amants à la première place. J'y serois encor en cette qualité. Adieu mon cher amy.

L'élu V.

Avez vous reçu le paquet pour Le père de Dardanus?

Mandez moy l'adresse de mr Algaroti; excusez moy auprès du prince sur ma pauvre santé.