1770-03-26, de Jean Pierre Biord, évêque de Genève-Annecy à Pierre Hugonet.

Je sens très bien, Monsieur, que La circonstance dans La quelle vous vous trouvés exige que vous vous comportiés avec toute la sagesse et toute La prudence possible, afinque vous n'ayés rien à vous reprocher, ni devant Dieu, ni devant les hommes; vous devés également éviter et les Excès d'un zèle indiscret, et La Lâcheté d'une molle complaisance qui iroit à trahir le devoir de votre ministère.
Vous savés les règles de la bonne morale, et vous ne devés ni vous en écarter, ni manquer d'ailleurs aux égards et aux ménagements d'une juste condescendance qui fut toujours dans L'ordre de La charité chrétienne et du véritable zèle. Voici au reste comme je pense que vous pourrés vous comporter et agir.

Si Mr De Voltaire vous fait demander pour Lui administer Les sacrements aux pâques prochaines, comme vous Le présumés, vous ne manquerés pas de Lui aller faire aussitôt une visite où vous Lui témoignerés avec beaucoup de politesse tout L'empressement que doit avoir un pasteur de concourir au salut de toutes ses ouailles; vous Lui représenterés ensuite, que malgré les actes qu'il fit L'année dernière, les philosophes ne nos jours, aussi bien que Les catholiques et les protestants n'en sont pas moins persuadés qu'il est toujours imbu des mauvais sentiments contenus dans cette suite de Livres impies et abominables que le public Lui à attribué et Lui attribue encore; qu'on à été surpris, qu'il n'eût rien dit pour désavouer, ou rétracter ces ouvrages, que son silence à cet égard Laissoit subsister le scandale du monde entier, et que pour le faire cesser, il seroit nécessaire, que par un acte authentique manifesté au public, en renouvellant et confirmant sa profession de foi, il déclarât positivement quant aux ouvrages qu'il prétend qu'on lui attribue faussement, qu'il les désavouë et qu'il rejete, condamne et réprouve toutes les Erreurs, les hérésies et les impiétés qui y sont contenus; et quant à ceux dont il s'est reconnu L'auteur, qu'il désavoue aussi et rétracte au besoin tout ce qu'ils peuvent contenir de répréhensible et de contraire à La doctrine de L'Eglise catholique, A͞ptolique et Romaine.

Je ne crois pas qu'il fasse difficulté de faire cette déclaration, surtout s'il est vrai qu'il ne soit pas L'auteur des ouvrages qu'on lui attribue, et qu'il soit dans des sentiments conformes à sa profession de foi; il est trop éclairé, pour ne pas sentir, que s'il La refusait, son refus même seroit pris pour un aveu de ces ouvrages et comme une preuve ardente qu'il en adopte les sentiments, et que sa prétenduê profession de foi n'est qu'un acte d'hipocrisie qui le feroit à juste titre regarder comme un homme sans probité et sans bonne foi qui se joue indignement de La Religion, et de ce qu'elle a de plus sacré; mais je ne dois pas penser qu'il soit capable d'une duplicité si monstrueuse, ni qu'il veuille s'afficher au public à des traits si odieux.

Dez qu'il aura fait La déclaration que je viens d'indiquer, vous n'aurés plus aucune peine à vous faire de L'entendre en confession, et la vous ne manquerés pas de Lui donner les avis convenables, et de Lui prescrire plus amplement ce qu'il aura à faire pour accomplir toute justice envers Dieu et envers les hommes, sans oublier ce qu'il se doit à lui même, et au soin de son salut, et le tout suivant les lumières de vôtre conscience, et les règles de la bonne et saine morale.

Après qu'il se sera confessé, s'il demande à communier, vous ne ferés aucune difficulté de lui administrer encore ce sacrement; mais pour effacer toujours mieux les impressions que le public a prises contre lui, il convient qu'avant de communier il renouvellât aumoins en substance La déclaration qu'il aura faite avant sa confession, s'il pense en vrai chrétien il n'hésitera pas de donner cette marque d'édification qui doit prouver la sincérité de ses sentiments.

Je n'en dis pas davantage, M., me reposant entièrement sur vos Lumières et sur vôtre prudence de tout ce qui se présentera à faire suivant les circonstances. Vous êtes assez éclairé, pour discerner ce qui sera suffisant pour vous autoriser à prêter vôtre ministère, et assés attaché à votre devoir, pour ne pas vous en écarter; au reste s'il survient encore quelque difficulté imprévuë, vous pourrés vous concerter avec Mr L'official Doyen de Gex, qui ne peut que vous donner de bons conseils.