Monseigneur,
Je reçus hier après midi la lettre que Votre grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire avec le modèle de Déclaration pour M. De Voltaire; mais la scène étoit déjà jouée, et les rideaux même tirés; Car le P. Claude Joseph m'apporta hier soir à huit heures sa Rétractation qu'il attendoit et qu'il m'avoit annoncée de M. De Voltaire, de laquelle j'ai tiré la copie ci-jointe.
Il est vrai que le P. Claude Joseph me vint trouver avant que de partir pour Fernex, et me parler de la conduite qu'il avoit à tenir à l'égard de M. de Voltaire. Je lui lus ma lettre à M. le Curé de Fernex, mon projet de lettre pour M. le Curé de Fernex à M. De Voltaire, où je supprimai seulement les mots, tandis qu'il étoit peut-être menacé de plus haut lui même, Lesquels cependant n'auroient pas été de trop. Je lui lus mon projet de profession de foi, et de rétractation à faire et à signer en cas de nécessité pressante, avant même que de l'entendre, lui annonçant mon recours à Votre grandeur, et la communication que je lui faisois de tout, à fin que se regardant en toute observation, il s'observât bien lui même: il trouva tout bien et nécessaire Et en fut le porteur lui même à M. le Curé de Fernex: mais ils n'ont fait ni l'un, ni l'autre usage de rien.
Le P. Claude Joseph à son retour de Fernex qui fut le samedi soir, me rendit compte de sa conduite préliminaire à la confession de M. Voltaire Et de la Rétractation qu'il lui avoit promise, qu'il fit dresser après sa communion, et de la lecture qui lui en fut faite et aux autres assistants sans sçavoir me dire en détail ce qu'elle contenoit, sur quoi je lui répondis qu'il devoit d'abord s'assurer de cette rétractation avant toutes choses et s'en faire délivrer une expédition, pour l'honneur même de sa direction. Sur quoi il me répondit l'avoir bien demandé au nore qui lui en fit refus, sous prétexte qu'elle n'étoit pas controllée, mais qu'il la lui avoit bien promise. Aussi inquiet qu'impatient de voir cette rétractation, je lui en parlai trois ou quatre fois, pour pouvoir en informer Votre grandeur par le premier orde d'après, mais il ne me fut pas possible, et je me hâte de profiter au moins du second: je compte bien que votre grandeur ne trouvera ici qu'une tragi-comédie: tout n'est pour comble de malheur, si bien concerté et décidé, qu'on ne voit guère le moïen de rien obtenir de mieux, comme le P. Claude Joseph m'a paru se Le promettre.
Cependant Comme les donneurs de certificats ont paru s'en repentir, on pourroit, ce semble, leur faire protester de la surprise de M. de Voltaire, leur faire réduire à sa juste valeur son Exactitude à remplir ses devoirs de Religieux, sa bienséance à une attention particuliére à mettre en culture des campagnes de Broussailles à lui appartenantes Et à étendre son fief par toutes ses concessions. Quant à sa Religion à rebâtir l'église de Fernex Votre grandeur a en mains le motif de cette magnificence, et la preuve de ses blasphêmes contre le Christ même pour en former un Mémoire à la Cour.
Je viens de demander au P. Claude Joseph une Coppie de la profession de foi qu'il a substituée à mon projet, comme l'aiant trouvé trop long et trop fort: mais en cas de pareille conjoncture, on n'est que trop appris qu'on ne sçauroit prendre trop de précautions avec cet homme. Un avis encore de Votre grandeur à tous Confesseurs séculiers et Réguliers pour la direction particulière de M. De Voltaire, imprimé et rendu public pour l'honneur du Diocèse, ne seroit peut être pas mal, et pourrait effacer la tache qu'il semble porter des pasques de M. Voltaire.
Le parti que Votre grandeur m'a fait l'honneur de m'annoncer pour la [ . . . ] de Lelex paroit le plus efficace à obtenir la portion congrue du Vicaire.
Mon correspondant m'écrivit en dernier lieu qu'à la Mort du Pape on étoit à finir mes dispenses, et qu'il n'y avoit rien à faire avant l'élection de celui à élire.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect
Monseigneur
Votre très humble Et très obéissant serviteur
Castin D.
Gex le 7 avril 1769
Pressé d'envoïer mon exprès à Geneve je ne peux attendre ni joindre ici la profession de foi du P. Claude Joseph, qui ne disoit pas grand chose.