1768-05-10, de Antoine Fournier à Jean Pierre Biord, évêque de Genève-Annecy.

Monseigneur,

J'ay l'honneur de répondre à la lettre reçuë hier, dont Votre Grandeur m'a honnoré, et de lui dire que je n'ay point signé de certificat ou l'on atteste que Mr. de Voltaire a rempli les devoirs de la Religion catholique dans sa Paroisse.
Il est vray que m'ayant fait demander de Pregny à Fernex, il m'exposa un écrit, dont je ne me rappelle pas la datte, et que je ne crois pas être celle que Votre Grandeur, indique, conçu à peu près dans ces termes: Nous soussignés témoignons que Mr de Voltaire fait profession extérieure de la Religion Catholique, que bien loin de véxer ses Vassaux, il leur fait du bien, qu'il occupe beaucoup d'artisans, leur faisant gagner leur vie, qu'il répand d'argent sur les lieux &c. signés Gros Curé de Fernex, Fabry Maire, subdélégué &c. Il me pressa de le signer, ajoutant que c'étoit pour réfuter des vilenies qu'on luy imputoit. Je ne crus point dans le moment engager ma conscience en le faisant, puisqu'on l'avoit vû à la messe l'entendre dévotement à ce que m'a assuré plusieurs fois Mr le Curé de Fernex: Actuellement il y a assisté plusieurs fois depuis Pâques. Pour le reste je crus également pouvoir l'attester sans flatterie. Ce qui ne laissa pas de me faire une certaine peine dont je fis part à Mr le Curé de Fernex. Elle a augmenté depuis que j'ay vu dans le Public des ouvrages impies qu'on lui attribue. Dès-lors Je me suis beaucoup observé, levoyant rarement crainte d'être compromis à son égard quoique j'aye continué à Diriger Mr Doma infirme dans cette maison, son neveu. Il y a même plus d'une année que je ne l'ay vû. J'aurois cependant à lui parler pour une affaire temporelle.

Je ne parle point des Confessions et Communions qu'il a faites: Elles ne peuvent être bonnes, tandis qu'il ne rétractera pas publiquement ses erreurs, en présence de personnes qualifiées: Ce seroit, ce me semble, La précaution qu'il faudroit prendre avant que de l'entendre en Confession: Peut-être ne suffiroit-elle pas selon la foiblesse de mon jugement; ayant lu dans le Dictionnaire anti-philosophique, que les déïstes sont indifférens à tous les cultes, qu'ils s'en acquittent comme d'une cérémonie de bienséance et de société: Que sans être chrétiens on les voit au temple…. Que les Déïstes sont assez complaisans pour feindre. De là leur tranquillité…. Peut-être s'assuretoit-on mieux de ses dispositions, quand des Ecclésiastiques éclairés et En place auroient des conférences réitérées avec lui sur la Religion. Je prie, Votre Grandeur de me Pardonner la liberté que je prends d'oser exposer mes foibles idées à cet égard; Mais ayant pour moy La tendresse d'un Père, je ne sçaurois mieux les déposer qu'en elle. Mr Devoltaire n'a point fait d'actes de Religion dans mon Eglise depuis que je suis Curé, n'ayant point demeuré dans cette Paroisse pendant ce temslà: J'ay entendu dire qu'il avoit assisté à la Messe du tems de mon Prédécesseur. Je sçais que, comme les Régitres en font foy, on l'a admis pour Parrain comme Madame Denis pour Marreine.

J'ay L'honneur d'être avec le plus profond Respect

Monseigneur

Votre très-humble et très obéïssant serviteur

Fournier curé