Rien sans doute ne seroit plus consolant pour moi que la conversion sincère de mr de Voltaire; mais il est fâcheux que bien des circonstances trop notoires mettent dans la triste nécessité de douter de la vérité de ses sentiments.
Les pâques qu'il fit l'année dernière n'ont pû malgré sa profession de foi être regardées comme un réparation du scandale de ses ouvrages pernicieux, et elles n'ont point éteint sa fureur d'écrire contre la religion; dumoins le public est persuadé qu'il est l'auteur de plusieurs brochures impies qui ont paru depuis, et qui sont assez bien marquées à son empreinte. Dans des cas semblables les règles de votre ministère sont toutes tracées; la réparation doit être proportionnée au scandale, et comme ni la confession ni la communion ne peuvent par elles mêmes effacer des impressions de scandale la réparation doit essentiellement précéder la confession. Conséquemment dés que m. de Voltaire vous aura fait avertir pour le confesser, vous vous rendrés auprès de lui, et après lui avoir donné des témoignages de votre zèle, vous exigerés de lui qu'il renouvelle sa profession de foi de l'année derniére, qu'il désavoue les ouvrages impies qu'on lui attribue, qu'il condamne les erreurs et les impiétés qui y sont contenues, qu'il rétracte tout ce qu'il y a de mauvais et de répréhensible dans ceux qu'il reconnoit pour siens. Le renouvellement de sa profession de foi, la condamnation et la rétractation qu'il doit y ajouter seront reçus par acte de notaire, signées par m. de Voltaire, et en présence de témoins qui signeront aussi. Après ces précautions indispensables vous Entendrés sa confession; quant à l'exercice de cette fonction je n'ai rien à vous prescrire; les lumières de votre conscience seront votre guide. Si vous êtes dans le cas de lui donner la Communion, vous l'engagerés à faire en présence des assistants une réparation des scandales qu'il a donné par ses propos et par ses écrits. Vous le préviendrés làdessus. M. de Montesquieu donna publiquement ce témoignage d'édification avant de recevoir le st viatique dans la maladie dont il mourut. Si le changement de m. de Voltaire est réel, il ne peut se refuser à ces moiens de détruire les impressions que le public a prises contre lui; dans ces conjonctures un vrai chrétien ne peut trop édifier, et le chrétien sincèrement converti doit des preuves autentiques de sa conversion. L'on éxige de m. de Voltaire que ce que les règles de la morale chrétienne prescrivent. Je compte sur votre prudence.
1769-03-29, de Jean Pierre Biord, évêque de Genève-Annecy à Anthelme Castin.