ce 11 avril 1768
Mr,
L'on Dit que vous avés fait vos pâques; bien de personnes n'en sont rien moins qu'édifiées, parcequ'elles s'imaginent que c'est une nouvelle scêne que Vous avés voulu donner au public en vous joüant encore de ce que la Religion a de plus sacré: pour moi Mr, qui pense plus charitablement, je ne sçaurois me persuader que Mr Devoltaire, ce grand homme de nôtre siècle, qui s'est toûjours annoncé comme élevé par les efforts d'une raison Epurée, et par les principes d'une philosophie sublime, audessus du respect humain, des préjugés et des foiblesses de L'humanité, eût été capable de trahir et de dissimuler ses sentimens par un acte d'hypocrisie qui suffiroit seul pour ternir toute sa gloire et pour L'avilir aux yeux de toute personne qui pense.
J'ai dû croire que La sincérité avait toûjours fait Le caractère de vos démarches.
Vous vous êtes confessé, vous avés même communié, vous L'avés donc fait de bonne foi, vous L'avés fait en vrai Chrétien, vous L'avés fait persuadé de ce que la foi nous dicte par rapport aux sacremens que vous avés reçu.
Les Incrédules ne pourront donc plus se glorifier de vous voir marcher à leur tête portant L'Etendard de L'incrédulité; Le public, ne sera plus autorisé à Vous regarder comme Le plus grand ennemi de la réligion Chrétienne, de L'Eglise Catholique, et de ses Ministres. S'il ne peut, malgré les protestations contraires insérées de vôtre part en certaines gazettes se persuader que vous ne soïez pas L'auteur d'une foule d'écrits, de brochures et d'ouvrages remplis d'impiété qui ont déjà occasionné tant de désordres Dans La Société, Tant de dérêglements dans les mœurs, tant de prophanations dans le sanctuaire, Il croira au moins que revenu à vous-même, vous aïés enfin résolu de ne plus mettre au jour de semblables productions, et que par un acte aussi Eclattant que celui que vous avés fait dans L'Eglise de vôtre paroisse Le jour de paques, vous avés voulu rendre un hommage public à la religion qui vous a vû naitre dans son sein, et à qui des talents aussi distingués que les vôtres auroient été infiniment utiles, si vous Les lui aviés consacré; il espérera encore qu'en soutenant ce premier acte par des sentiments et par une conduite uniformes, et en perfectionnant L'ouvrage d'une conversion ébauchée, vous ne Laisserés plus aux gens de bien, amateurs de la religion, que le juste sujet de rendre grâces à Dieu, et de le bénir d'un retour qui mettra le comble à leur joÿe et à leur consolation. Si le jour de vôtre communion on vous avoit vû non pas vous ingérer à prêcher le peuple dans L'Eglise sur Le vol et les Larcins, ce qui a fort scandalisé tous Les assistants, mais annoncer comme un Théodose par vos soupirs, vos gémissements et vos larmes, la pureté de vôtre foi, la sincérité de vôtre repentir, et le désaveu de tous les sujets de mésédification qu'il a cru entrevoir par le passé dans vôtre façon de penser et d'agir, alors personne n'auroit plus été dans le cas de regarder comme équivoque vos démonstrations apparentes de religion. On vous auroit cru mieux disposer à approcher de cette table ste où la foi ne permet aux âmes même Les plus pures de se présenter qu'avec une religieuse fraieur: On auroit été plus édifié de vous y voir, et peut être auriés vous tiré plus d'avantage de vous y être présenté. Mais quoiqu'il en soit du passé que je dois laisser au jugement du souverain scrutateur des cœurs et des consciences, ce seront les fruits qui feront juger de la qualité de l'arbre; et j'espêre que par ce que vous ferés à l'avenir vous ne laisserés aucun lieu de douter de la droiture et de la sincérité de ce que vous avés déjà fait. Je me le persuade d'autant plus facilement que je le souhaite avec plus d'ardeur n'aïant rien tant à cœur que vôtre salut, et ne pouvant oublier qu'en qualité de pasteur je dois rendre compte à Dieu de vôtre âme comme de toutes celles du troupeau qui m'a été confié par la divine Providence.
Je ne vous dirai pas, Mr, combien j'ai déjà gémi sur vôtre Etat, ni combien j'ai déjà offert de prières et de supplications au Dieu de Miséricorde pour qu'il daignât enfin vous éclairer de ses lumières célestes qui font aimer et suivre La vérité en même tems qu'elles la font connoitre. Je me bornerai simplement à vous faire remarquer que le tems presse et qu'il vous importe de ne plus perdre aucun de ses moments précieux que vous pouvés encore employer utilement pour l'Eternité. Un corps exténué et déjà abattu sous le poids des années vous averti que vous approchés du terme où sont allé aboutir tous ces hommes fameux qui vous ont précédé et dont à peine reste-t-il aujourd'hui La mémoire. En [se] laissant éblouïr par Le faux éclat d'une gloire aussi frivole que fugitive, La plus part d'entre eux ont perdu de vüe les biens et la gloire Immortelle plus digne de fixer leurs désirs et leurs empressemens. Fasse le ciel que plus sage et plus prudent qu'Eux vous ne vous occupiés plus à l'avenir qu'à la recherche de ce bonheur souverain qui peut seul remplir Le vuide d'un cœur qui ne trouve rien ici bas qui puisse le contenter!
C'est ce que je ne cesserai de demander au seigneur par mes voeux les plus ardents et je le dois au vif intérest que je prend à tout ce qui vous regarde, au Zèle dont je suis animé pour vôtre salut et au sentiment respectueux avec lequel j'ai l'honneur d'être….