Annessy ce 25 avril 1768
Monsieur,
Je n'ais différé de répliquer à vôtre lettre du 15 de ce mois, que parceque je n'ais eu dez Lors aucun moment de Loisir, ayant été continuellement occupé de ce que nous appellons La Retraite et Le synode.
Je n'ais pû qu'être surpris qu'en affectant de ne pas entendre ce qui étoit fort intelligible dans ma Lettre, vous ayés supposé, que je vous savois bon gré d'une communion de politique dont Les protestans même n'ont pas été moins scandalisés, que les catholiques; J'en ais gémi plus que tout autre; et si vous étiés moins éclairé et moins instruit, je croirais devoir vous apprendre en qualité d'Evêque et de pasteur, qu'en supposant le scandale donné au public soit par Les écrits qu'il vous attribue, soit par la cessation de presque tout acte de Religion depuis plusieurs années, une communion faite suivant Les vrais principes de La morale chrétienne, exigeoit préalablement de votre part des réparations éclatantes et capables d'effacer les impressions prises sur vôtre compte, et que jusque là aucun ministre instruit de son devoir n'a pû et ne pourra vous absoudre, ni vous permettre de vous présenter à La table sainte.
Sans étre aussi instruit que vous Le supposés gratuitement, je le suis cependant assés, pour ne pas ignorer, que la conduite d'un seigneur de paroisse qui se fait accompagner par des gardes armés jusque dans L'Eglise, et qui s'y ingère à donner des avis au peuple pendant la célébration de la ste Messe, bien loin d'être autorisée par Les usages et les Loix de France, est au contraire proscrite par les sages ordonnances des Rois très chrétiens qui ont toûjours distingué pour Le tems et le lieu ce qui est du Ministère des pasteurs de L'Eglise, de L'exercice de la police extérieure que vous voulés attribuer aux seigneurs.
Vous m'annoncés que vous vous anéantissés avec moi devant Dieu, le créateur des tems, et de tous les Etres; je souhaite que nous le fassions vous et moi avec assés de foi, de confiance, d'humilité, et de repentir de nos fautes, pour mériter, qu'il jette sur nous les regards propices de sa miséricorde; et j'en reviens encore à vous inviter, à vous prier, à vous conjurer de ne pas perdre de vuë cette éternité à La quelle vous touchés de si près, et dans La quelle iront bientôt se perdre non seulement les petits incidens de la vie, mais encore le faste des grandeurs, l'opulence des richesses, l'orgueil des beaux esprits, les vains raisonnements de la prétenduë sagesse humaine, et tout ce qui appartient à la figure trompeuse de ce Monde.
Si mes avis ne sont pas tout à fait de vôtre goût, je me flatte que vous n'en serés pas moins convaincu qu'ils ne sont dictés que par L'amour de mon devoir, et par l'empressement que j'ai de concourir à vôtre véritable, et solide bonheur. Bien de personnes en se dirigeant par des vuës humaines vous tiendront un Langage bien différent; mais par une suite du principe invariable que je me suis fait de n'agir qu'en vuë de Dieu et dans L'ordre de sa volonté, comme je ne cherche point Les adulations, je ne crains pas non plus Les satires, et je suis disposé à essuyer tous les traits de la Malignité des hommes, plus tôt que de manquér à ce que je croirai être suivant Dieu du devoir de mon ministère. Au reste quoi que je me serve de la formule ordinaire introduite chez les hommes, ce n'est pas avec moins de sincérité que je serai toute ma vie avec le désir le plus ardent de vôtre salut,
et avec respect,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
J͞. P. Evêque de Geneve