1773-10-24, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

S’il m’est interdit de vous revoir à tout jamais, je n’en suis pas moins aise que La Duchesse de Wurtenber Vous ait vûe.
Cette fasson de Converssér par procuration ne Vaut pas Le faciem at faciem. Des relations et des Lettres ne tienent pas Lieu de Voltaire quant on L’a possédé en personne. J’aplaudis au Larmes Wertueusses que Vous avéz répandûs au souvenir de ma Défunte soeur. J’aurais sûrement mêlé Les Mienes au Vôtres si j’avois été présent à cette scène touchante; soit faiblesse soit adulation outrée, j’ai ecssécuté pour cette sœur ce que Ciceron projetoit pour sa Tulie, je Luy ai érigé un temple dédié à L’amitié, sa statûe se trouve au fond et chaque Colomne et chargé d’un Mascaron contenant Le buste des héros de L’amitié. Je Vous en envoye le Dessein, ce Temple est placé dans un Des boquets de mon jardin, j’y vais souvent me rapelér mes pertes et Le bonheur dont je jouisois autrefois.

Il y a plus d’un mois que je suis de retour de mes Voyages, j’ai été en Prusse, abolir Le servage, reformér des Loix barbares, en promulguér de plus raissonnables, ouvrir un Canal qui joint La Wistule, La Netze, La Warte, L’Odér et L’Elbe, rebâtir des Viles détruites depuis La Peste de 1709, défrichér 20 milles de marais, et établir quelque police dans un Pays où ce Nom même étoit inconû. De là j’ai été en Silesie Consolér mes pauvres Ignatiens des Rigeurs de la Cour de Rome, coroborér Leur ordre, en formér un Corps des Diversses provinces où je Les conserve et Les rendres utiles à la patrie en Dirigeant Leurs Ecoles pour L’Instruction de La jeunesse à La quelle ils se vouront entièrement. De plus j’ai arangé La bâttisse de 60 Wilages dans La haute Silesie, où il restoit des terre incultes. Chaque vilage a 20 familles. J’ai fait faire de grands chemins dans Les montagnes pour La facilité di Comerce, et rebâtir deux villes brullées qui étoient de boids, et qui seront de briques et même de pierre de Taille dans Les montagnes. Je ne Vous parle point de troupes, cette matière est trop prohibée à Fernai pour que je La touche. Vous sentiréz qu’en faisant tout cela je n’ai pas été les brads croiséz.

Apropos de Croiséz ni L’empereur ni moy nous ne Nous Croiserons contre Le Croissant, il n’y a plus de reliques à remporter de Jerussalem, nous espérons que La paix se fera peutêtre cet hivér, et d’ailleurs nous aimons Le proverbe qui dit, il faut Vivre et Laisér Vivre. Apeine y a t’il X ans que La paix dure, il faut La Conservér autant qu’on Le poura sans risque, et ni plus ni moins se metre en état de n’estre pas pris au Dépourvû par quelque Chef de Brigant, Conducteur d’assassins à Gage. Ne systheme n’est celuy ni De Richelieu ni de Massarin, mais il est Celuy de bien des peuples, objet principal des Magistrats qui Les gouvernent. Je Vous souhaite Cette paix acompagnée de toute Les prospéritéz posible, et j’espère que Le patriarche de Frenai n’oublira pas Le filosofe de Sans souci, qui admire et admira son génie jusqu’à exstinenction de chaleur humaine. Vale.

Fr.