à Ferney 1er mars 1766
Je vous conjure, monsieur, de n'avoir pas tant raison: je vous demande en grâce, de ne point fournir des armes à nos adversaires.
Songeons d'abord qu'il est très certain que la comédie fut instituée comme un acte de religion à Rome, que ce fut une fête pour apaiser les dieux dans une contagion, que ni Roscius ni Æsopus ne furent infâmes. La profession d'un acteur n'était pas celle d'un chevalier romain mais la différence est grande entre l'infâmie et l'indécence.
Permettez moi de distinguer encore entre les comédiens et les mimes. Ces mimes étaient des bateleurs, des Arlequins. Apulée dans son Apologie distingue l'acteur comique, l'acteur tragique, et le mime. Ce dernier n'avait ni brodequin ni cothurne, il se barbouillait le visage fuligine faciem obductus, il paraissait pieds nus, planipes. Ce métier était méprisable et méprisé, Corpore ridetur ipso dit Cicéron de Oratore.
Ne pourriez vous donc pas abandonner aux mimes l'infamie, en donnant aux autres acteurs une place honnête? Ne pouvez vous pas tirer un grand parti, monsieur, du titre mathematicos? On déclare les mathématiciens infâmes sous les empereurs romains, mais on n'entend pas les mathématiciens véritables, on n'entend que les astrologues et les devins. Ainsi par ceux qui montaient sur le théâtre et qu'on diffame, tâchons d'entendre les mimes et non pas ceux qui représentaient la Médée d'Ovide. Enfin nous sommes accusés, ne nous accusons pas nous mêmes.
Pourriez vous, monsieur, faire quelque usage des honneurs que reçut à Lyon la célébre Andréini qui fut enterrée avec beaucoup de pompe? Pardonnez, monsieur, à un pauvre plaideur dont vous êtes le patron sa délicatesse sur la cause que vous daignez défendre, il est bien juste que je prenne vivement le parti de ceux qui ont fait valoir mes faibles ouvrages.
J'ajoute encore qu'aujourd'hui en Italie, il y a beaucoup plus d'académiciens que de comédiens qui représentent des pièces de théâtre. Les tragédies surtout ne sont jouées que par des académiciens. Enfin je soumets toutes mes idées aux vôtres, et je vous réitére mes remerciements ainsi que les sentiments de la plus vive estime. Vous allez devenir le vrai protecteur de l'art que je regarde comme le premier des beaux arts, et auquel j'ai consacré une partie de ma vie. Soyez bien persuadé, monsieur, de la tendre et respectueuse reconnaissance de votre très humble et t. ob. servr.