1778-03-08, de Jacques Le Brigant à Voltaire [François Marie Arouet].

Dans le grand nombre des Traducteurs, qui ont essaié de donner la signification de cés deux mots du 2e verset de la Genève, il est surprenant qu'il n'y en ait aucun, dont la traduction soit satisfaisante, ou assés raisonable pour qu'on puisse s'y tenir.

On và d'abord exposer de suite les différens sens qu'on leurs à donné.

En commençant par Les septante, ils ont traduit les mot Tohu vè Bohu par ceux ci aoratos kai acatekeva, c'est à Dire invisibilis, et incomposîta.

Aquila Traduit: Kénoma, kai oudén, c'est à dire Vanitas, et nihil.

Simmaque, Agrion, Kai diakriton, c'est à dire, otiosa, et indistincta.

Ovide unus erat toto naturae vultus in orbe.

Le texte Caldéen: Tsadiah, vè Rakaniah rendus par vaste, et omni formä Carens.

La Vulgate, inanis et Vacua, sur qu'oi il faut remarquer que inanè n'est autre que le primitif è na nè, qui est, et qui n'est pas, et Vacue, ou Vacua, Voa Cou eu, qui étoît couvert d'eau, Comme on le verra cy a près.

Santès pagninus, desolatio, et solitudo, où Bohu encore est dit il, forma quae Dat esse materiae.

Buxtorf, res informis, et inanitas, l'abbé du Guet, informe et tout nüe.

L'abbé Bergier, élémens primitifs des Langues, page 302, 'Tohu et Bohu sont exactement les mèmes, que les mots françois Tuiau, et Boiau, qui expriment quelque chose de creux, et de vuide; le patois prononce Tué et Boué. Il ajoute que Moise dit, que la terre étoit environnée d'eau; et de plus que le mot tohu ressemble encore Beaucoup au mot françois étui.

Enfin mr de Voltaire, que l'on réserve pour Bonne Bouche, dit ' TohuBohu signifîent précisément chaos, désordre. C'est un de cés mots imitatifs, qu'on trouve dans toutes les langues, Comme sans dessùs dessous, Tintamarre, Trictrac, Bombe. La terre n'étoit pas encore formée telle qu'elle est.'

Une seule Lettre mal Lue, et mal prononcée dans cès deux mots à été la cause des erreurs différentes de tous cès Traducteurs, desqueos aucun n'a saisi le véritable sens. C'est la lettre ,͞ hè, qui n'est autre que notre è sans aspiration, l' éta des Grecs, que les ignorans lisent hitha; ainsi donc au lieu de Toeu, et Boeu on à lu Tohu et Bohu, dont il à été, par là, impossible de trouver la vraie signification; au lieu que celle des deux autres dans la langue Celtique, où celle des enfans de Gomer, précédente celle des Hébreux, et leur nation, langue qui n'est ni détruîte, ni morte, mais existante encore, vivante et parlée, est aussi clair, qu'il est intelligible, et incontestable pour la signification.

En effet en Cette langue le mot Toeu composé des deux radicaux Tou, qui signifie couvert, et de eu, le mème que le françois eau, eaüe aire, comme on prononce encore en quelques endroits, dit exactement, et à la lettre: couvert d'eau, où Caché sous l'eau.

Boeuégalement composè de Bo sera, où qui est, et du même mot eu eau, signifie noié ou qui est sous L'eau; ainsi cès deux mots approchans Bien l'un de l'autre désignent exactement l'état de la terre avant l'élévation des eaux; avant que la Terre avida, à rets, ar res, le res, parut à sec et à découvert avant la séparation des eaux inférieures d'avec celles d'en haut nommeés en hébreu shammaim, shau, aiu en primitif.

L'élévation des eaux; ouranos en grec évo rann, les eaux séparées, coeli en Latin Ké eu lé La clôture des eaux d'en haut, cieux en françois Kè i evo, la haie des eaux, heaven en anglois l'amas des eaux du ciel, himmel en allemand, hi ev me lé, ce sont les eaux d'au dessus de moi, hemelen hollandois, aiant Le mème sens, ssam vvaat en Arabe sam évad en celtique la somme, la charge élevée des eaux, surga en jentoc, et en Malabare, Lour ghéach la cloison des eaux, souvven, en siamois zo even, qui est les eaux. Eu comme on l'a dit L'eau en celtique, evo plurier les eaux et signifiant les cieux où les eaux élevées, qui de tout côté environnent la terre, sur laquelle elles retombent en pluie, pluvia latin, Bè léou aiu, l'eau chaude, qui tombe sur noss.

Le Tao, ou Tchao chinois signifie, où est la mème chose que le chaos des Grecs, qui revient encore au mème sens Tou évo, ou cou évo caché dans les eaux. C'est de ce mot cou que vient le couard françois, tout comme couvrir, cooperire latin, cou ober, mettre à couvert, où cacher.

Cette traduction de cès deux mots est d'autant plus admissible, qu'elle rend à la lettre ce qu'ils signifient. Elle conserve en mème tems l'opinion des plus savans hommes que la terre à son origine à été couverte d'eau. C'est comme dit mr Buffon hist: nat: Tome Ier , page 334, 'Le sentiments de quelques philosophes anciens, et mème de la plus part des pères de l'église, in mundi principio acqua in omnem terram stagnabat, dit St Jean de Damas livre 2, chap. 9'

Terra erat invisibilis, quia exundabat aqua et operiebat terram, dit St Ambroise, livre 10e, Hexaméron, chapitre 8.

Terra, cum esset faciem ejus inundante aquâ, non erat aspectabilis, dit St Basile, homélie 2me.

St Augustin dit aussi, terra erat invisibilis et incomposita, lib. 1me Geneseos, cap. 2.

Tout celà donc revient au mème sens, et concourt à la dèmonstration, que cès deux mots, qui dans la langue primitivegomérite sont les mèmes, que dans l'hébreu, si on les prononce comme il faut, signifient exactement la mème chose, et que de ces deux langues l'une étant morte, et l'autre vivante, et parlée, c'est à cette dernière qu'il faut recourir pour la prononciation, comme pour la signification, puisqu'elle peut seule faire entendre cès termes dans leur sens véritable, ce que tant de traducteurs avoient jusqu'à présent inutilement tenté.

Il en est de cés mots comme de bien D'autres ne seroit ce que Le mot amen. De tous les savans dont mr de Voltaire est à présent entouré dans la ville qui l'à vu naitre, et qui le voit triomphant des jaloux et de l'envie, le sousignant assure qu'il n'y en à pas deux en état de donner la signification exacte de ce mot. Une seule langue donne la clef et l'intelligence de toutes les autres et dans quatre heures le sousignant, s'il étoit à portée, se feroit fort d'en apprendre plus sur le fond et la nature du langage humain, sur ses différences, ses altérations et ses rapports que tous ceux qui ont traité de la grammaire n'en ont montré jusqu'à présent; plus que toutes les académies de l'Europe n'en ont de couvert, et plus qu'elles n'en pourront de couvrir en autant de Tems, qu'il s'en est ècoulé depuis leur institution.

Le Brigant, avocat

A Treguier en Bretagne le 8e de mars mil sept cent soixante et dix huit