Ganges ce 3 août 1776
Monsieur,
Des nouvelles que je viens de recevoir mettent mon esprit en désordre.
La Lettre que je prens la liberté de vous adresser, ne poura que s'en ressentir. Ayés la bonté, je vous en prie, de vouloir bien y suppléer.
Que font la plupart des hommes? La lumière brille à leurs yeux, mais ils la repoussent. Voilà les jurandes & les corvées rétablies, les Ephémérides suprimées, & la Société d'Emulation suspendue. Vous savés aussi, Monsieur, qu'on a pris des mesures pour empêcher qu'aucun Ecrit ne soit imprimé qu'autant qu'il aura été aprouvé par la Sorbonne.
Il me semble que M. L'archevêque de Lion regrettait, dans son instruction pastorale, les anciens siècles d'ignorance. Chercherait-on à les ramener? Il le parait.
On ne veut plus chez nous, à ce qu'on me marque, de culte public. L'Etat ne poura qu'y perdre, mais le clergé, qui est, sans doute, l'instigateur du mal qu'on va nous faire, se mêt fort peu en peine de la prospérité du Royaume, pourvu que Ceux qui mettent des obstacles à son ambition soient tenus dans l'abbaissement.
C'était, Monsieur, une bénédiction dans nos Contrées, de voir les catholiques & les protestans célébrer paisiblement leur culte, les uns dans des Eglises, les autres dans des champs; & faire régner entr'eux un commerce réciproque de bons offices. Tout cela va disparaitre, pour faire place aux défiances, aux froideurs, peut-être même à quelque chose de pis; & ce seront Mrs les prélats, ces ministres de paix, qui auront opéré ce bel ouvrage.
Quel bien ne fairiés vous pas à la France, si vous pouviés porter le gouvernement à continuer de nous traiter avec douceur! Il est une infinité de raisons qui devraient l'y engager, & personne au monde ne les sent mieux que vous. Daignés donc, Monsieur, vous qui connaissés si bien les droits des hommes, écrire encore quelque chose en notre faveur. Nous vous en aurons une obligation infinie.
Nos assemblées, telles que nous les avons réduites & que nous les pratiquons, ne peuvent produire, & ne produisent, en effet, que du bien. Sans elles, notre peuple vivrait dans l'ignorance & l'ignorance est presque toujours la mère de la malice, du fanatisme et de la superstition. Quand nos pasteurs vuideraient le Royaume, le plus grand nombre de nos protestans ne laisseraient pas de s'assembler, malgré les défenses & les peines; & l'on n'y serait à la fin que pour avoir uzé de contrainte au grand préjudice de l'Etat.
Nous n'avons ici que du mauvais papier, mais il n'en reçoit pas moins l'empreinte de mes sentimens pour vous; aussi ne fais-je pas difficulté de m'en servir pour vous reïtérer les assurances du tendre & profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monsieur,
Votre très humble & très obeïssant serviteur,
Pomaret