Monsieur,
C'est un de nos braves huguenots de Ganges que je charge de cette Lettre.
S'il à l'honneur de vous la remettre, il pourra dire qu'il a vû de tous les viellards le plus vénérable, & il le dira.
En vain le nombre des hommes d'Etat éclairés & tolérans, augmenterait-il de jour en jour, je n'en dirais pas moins qu'il nous manque le plus grand de tous les hommes, si nous ne vous avions plus.
Vous êtes plus aimé, Monsieur, dans no[s] Cevenes que vous ne sauriés croire. Tous les protestans qui s'y trouvent savent ce que vous avés fait pour eux, & tous vous ont dressé une statue dans leurs Coeurs.
Vous aurés encore à gémir. L'inquisition a renouvellé les fureurs, & deux grands en ont été déjà les tristes victimes. Jusqu'à quand le faux zèle étouffera t-il la voix de la Raison?
Je ne pense, Monsieur, jamais à vôtre âge sans que je ne pleure, mais je vois dans notre pétite ville des personnes âgées de quatre vingt dix ans encore bien portantes; je me dis que vous pouvés vivre aumoins autant qu'elles, & l'espérance que j'en ai me console. Daigne le souverain arbitre de nos destinées la réaliser!
Si j'étais destiné à vous survivre, mon deuil ne finirait qu'avec ma vie. J'ai l'honneur d'être dans toute l'étendue des sentimens de mon coeur,
Monsieur,
Votre très humble & très obéissant serviteur,
Pomaret
à Ganges ce 10 mars 1777