Monsieur,
En vain sens-je toute la hardiesse qu’il y a à ce qu’un homme tel que moi écrive à un homme tel que vous, je ne puis m’empêcher de vous témoigner mon respect, mon amour, ma reconnaissance, & tant que le ciel vous conservera, il faudra bien que vous ayés la bonté de me le permettre.
Nous sommes grâces à Dieu, fort tranquiles, M. le Comte de Périgord n’a fait que donner de la consistence à la tolérance dont nous jouïssons, & nous n’avons qu’à nous louer de sa sagesse et de son humanité.
Les superstitions du peuple ne me surprennent point, il est si borné, il raisonne si peu, il est d’ailleurs si tremblant, si timide, qu’il ne peut être que superstitieux. Il en seroit, je l’avoue, tout autrement, s’il étoit mieux instruit, mais il en coûte moins de dire des messes que de faire de bons prônes, & l’on s’en tient là.
Deux mots, Monsieur, que vous me fites l’honneur de m’écrire, il y a déjà quelques années, me firent concevoir le plan d’un ouvrage, à l’usage des chefs de famille, & je l’ai exécuté. Tout y conduit à une Religion qui présente beaucoup moins de vérités à croire, que de devoirs à pratiquer; Tout y est propre à inspirer un zèle sans fanatisme, & une bienveillance sans partialité; Tout y tend à porter les chrétiens en général à faire régner, aumoins, entr’eux une paix extérieure, s’ils ne peuvent venir à bout d’y faire régner une harmonie de sentimens; mais je n’ose le livrer encore à l’impression.
Il me sembloit qu’il falloit une autorité intermédiaire & je la souhaitais; mais après y avoir mûrement réfléchi j’ai vû qu’un corps à plusieurs tête était un monstre, & que le bien ne pouvoit se faire dans un Etat, qu’autant qu’il ne s’y trouvoit point plusieurs puissances qui se croisassent les unes les autres. Je me borne donc aujourd’hui à prier Dieu de nous donner des Rois, qui avec un esprit juste & un coeur bienfaisant, ayent de bons et sages ministres.
Si les voeux que je ne cesse de faire en vôtre faveur, sont éxaucés, vous jouïrés de la plus longue vie, & vous ne quitterés un jour la brillante carrière que vous aurés courue dans le tems, que pour en aller courir une autre infiniment plus glorieuse dans l’éternité. Daignés les agréer, & croire que personne au monde, n’est avec plus de respect que moi,
Monsieur,
Votre très humble & très obéissant serviteur
Pomaret
à Ganges ce 2e février 1772