1770-01-11, de Jean Gal à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Les Syrvens ont donc été enfin déchargés de toute accusation, & rétablis dans leur honneur & dans leurs biens.
C'est à vos charitables sollicitations, & plus encore aux généreux secours que vous avés eu la bonté de leur tendre, qu'ils doivent leur triomphe, & je ne saurois m'empêcher de vous en faire mon compliment. Daignés, Monsieur, le récevoir comme venant de la part d'un homme, qui sent tout le prix du bien que vous avés fait au monde, & qui dans cette nouvelle année rédouble ses voeux, pour vôtre Conservation.

Quelle différence n'y a t-il pas entre vous, Monsieur, & quantité de nos hommes d'Eglise? Ils prêchent le christianisme, & ils en foulent la plûpart du tems les devoirs; vous semblés le combattre, & cependant vous en faites les oeuvres: aussi ne saurois-je vous dire jusqu'à quel point je vous mêts au dessus d'eux, & la terre entière sait bien que les bonnes oeuvres vâlent infiniment plus que les bons discours, & que les bonnes oeuvres ne trompent jamais.

C'est vous, Monsieur, qui avés amêné le siècle des bons Rois, mais se peut-il qu'aucun d'eux ne puisse travailler à épurer la Religion dans ses Etats, sans s'exposer à devenir la triste victime de l'affreux fanatisme? Cela est étrange, mais tout étrange qu'il est, il n'est malheureusement que trop commun. On peut le dire, sur tout s'il est vrai que le Roi de Portugal ait été de nouveau assassiné, comme on l'assure.

Pasteur, comme je le suis, Monsieur, dans une ville partagée en protestans & en catholiques, je concours de tout mon pouvoir, non à les accorder sur les points de foi qui les divisent, car je ne saurois y réussir, mais à établir aumoins entr'eux un commerce réciproque de bons offices. J'ai même la satisfaction de voir que je n'i travaille pas inutilement, & c'est là pour moi le plus ravissant de tous les spectacles. Quant à ma Doctrine, j'enseigne, Monsieur, que Dieu est Esprit, & que cela étant, il ne peut se trouver chés lui que des émanations, des vertus, des opérations, des oeuvres; qu'il se montre toujours à nous comme notre bien suprême, comme notre dernière fin; qu'il veut miséricorde plutôt que sacrifice; que le péché est la grande maladie de l'âme; que tant que notre âme est malade le bonheur est loin de nous; & que si nous voulons être heureux, il faut par conséquent que nous évitions le mal & que nous fassions le bien.

On nous dit, Monsieur, mille biens du pape actuel, mais il crée de nouveaux saints, & cela me fait voir en lui une toute autre tête, qu'une tête philosophe. Pourquoi vouloir multiplier les objets du culte du pauvre peuple? On ne lui fit que trop acroire dans les siécles passés, & il me semble qu'on devroit bien cesser de l'abuser dans un tems où vous faites rétentir de toutes parts le langage de la raison & de l'humanité. Passés moi, je vous en prie, ces réflexions, je gémis comme vous sur les superstitions, qui avillissent encore plus des trois quarts des hommes, & ami comme je le suis de tous, je voudrois qu'ils laissassent enfin là une dévotion qui n'a rien d'utile, pour ne se piquer que de vertus, & de vertus toujours pleines de bons fruits.

Comme le projet qu'on avoit formé de nous donner sur la frontière du Royaume, une ville libre, pour pouvoir nous marier légitimement, n'a point eu lieu, j'aimerais bien que vous eussiés la bonté de m'instruire de ce qu'on en a empêché ou rétardé l'exécution; Mais je n'ose, Monsieur, vous en prier. Cependant vous ne sauriés écrire à homme du monde, qui vous vénère plus que je le faits. Aumoins est-il vrai que je dirai, tant que je vous saurai sur la terre, que les Alexandres ont un Aristote; les Cesars un Athenodore; les Enées un Virgile; les Mecenes un Horace; les opprimés un défenseur; les malheureux un appui; et que je tiendrai à vous par tous les sentimens de mon coeur. Veuillés en être persuadé, & croire que j'ai l'honneur d'être avec le respect le plus profond et le plus soutenu,

Monsieur,

Vôtre très humble & très obéissant serviteur,

Pomaret