Monsieur,
Que j'ose, moi, ministre obscur des Cevennes, qui ne sçus jamais parler qu'un fort mauvais patois, prendre la liberté de vous écrire, à vous qui enrichissés tous les jours la langue française, & qui par la sublimité de vos pensées & la beauté de vos expressions, enchantés, pour ainsi dire le monde entier, Cela vous paraitra, sans doute, un peu trop audacieux; mais Monsieur, cette tendre humanité qui éclate dans tous vos ouvrages, m'enhardit, & me fait espérer que quelque mal conçue que puisse être ma Lettre, vous ne laisserés pas de la bien accueillir.
Une des vôtres qui vient d'ètre répanduë jusques dans nos montagnes, annonce qu'on va voir éclore les jours de douceur & de paix que vous cherchâtes mille fois à nous procurer & que nous désirons depuis plus de soixante & quinze années avec tant d'ardeur. Cela seroit-il vrai, Monsieur? La Cour détrompée rendroit-elle enfin justice aux sentimens patriotiques dont nous fûmes toujours animés & briseroit-elle enfin les fers qui nous accablent, & dont nôtre fidélité auroit bien dû ce semble nous affranchir. Un pareil événément nous combleroit de la joye la plus vive, & comme ce seroit, après le coeur compatissant de sa Majesté, principalement à vos excellens Ecrits que nous devrions nôtre bonheur, nous bénirions à jamais le ciel de ce qu'il vous fit naitre pour prendre la cause de l'innocence opprimée, & de ce qu'il vous doua des talens les plus prôpres à la faire triompher.
On le voit, Monsieur, entièrement dépouillé des préjugés qui rétréscissent la charité, Ce n'est pas pour le bien de quelque peuple particulier que vous avés travaillé, mais pour celui de l'humanité en général. Le triomphe des Calas, votre traité sur la tolérance, vos mêlanges philosophiques, vos inimitables poëmes en sont des monuments qui l'apprendront aux postérités futures, & qui devroient bien aussi en convaincre les nations présentes.
Voilà le grand homme. Eh! qui d'entre les anciens & les modernes s'éleva jamais aussi fortement contre l'avilissante superstition, & contre le cruel fanatisme que vous l'avés fait, & que vous le faites. Puissiés vous donc vivre, Monsieur, pour concourir de plus en plus à amener ces tems fortunés, où les hommes convaincus que le meilleur culte qu'on puisse rendre à dieu, c'est de lui offrir une âme pleine de sentimens de bienfaisance, ne s'égorgeront plus les uns les autres, et vivre assés pour voir vos généreux travaux couronnés du plus heureux succès.
Tels sont mes voeux, et le philosophe qui cria si souvent aux hommes mortels, Vous êtes frères, traités vous donc en frères, voudra bien ne pas les dédaigner.
Ma lettre ne demande point de réponse, mais si vous daignés Monsieur, m'honorer jusqu'au point de m'en faire & de l'accompagner de vos judicieux avis sur la manière dont nous devrions nous en prendre pour concilier la Célébration de nôtre Culte avec les vûës actuelles du gouvernement, qui vous sont si bien connuës, jamais le souvenir de l'honneur que vous m'auriés fait en m'écrivant ne sortiroit de mon coeur, & peut être mettriés vous par là au Corban, une aumône dont l'auteur de votre Etre vous sauroit gré.
Quoi qu'il en soit, vos ouvrages qui ne me quittent point, et qui me font voir en leur auteur non seulement le restaurateur de la République des Lettres, mais encore le grand ami du genre humain, me pénétreront toujours pour vous du respect le plus profond, & ce sera avec ce même respect que je serai toute ma vie
Monsieur,
Votre très humble et très obéïssant serviteur
Pomaret
à Ganges le 7e xbre 1767
Pomaret, par Montpellier à Ganges, voilà mon adresse.