1776-03-04, de Jean Gal à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Je ne sai si vos quatrevingts & quelques années éloignent de vôtre château plusieurs de ceux qui s'empressaient autre fois à vous faire leur cour.
Pour moi, plus je pense à vôtre âge, plus je souhaiterais d'être auprès de vous pour vous faire ma révérence soir & matin.

Le lieu même où vous serés un jour enseveli sera digne de vénération. On devra dire, ici reposent les cendres du grand promoteur de la bienfaisance & de l'humanité, & quiconque ne le dira pas méconnaitra le bien que vous avés fait au monde.

La vieillesse, toute triste qu'elle est, n'a, Monsieur, rien de fâcheux pour Ceux qui, comme vous, savent se soumettre aux ordres irrévocables de la nature, & tirer de leur prôpre fond leur félicité. Cependant je ne laisse pas de démander au ciel ses consolations en vôtre faveur, & si je suis exaucé, vos derniers jours seront encore plus heureux que ne le furent vos prémiers.

Pour voir approcher la mort sans crainte & la recevoir sans émotion, il faut être, selon moi, dans la croïance des vérités Evangéliques; & je ne doute pas que vous n'y soïés. Il est vrai que vous avés formé Contr-elles plusieurs difficultés, mais on peut en faire sans être incrédule, et plus encore sans être impie.

Lorsque vous fûtes dans ces belles allées ou vous trouvâtes les Numa, les Pythagore, les Zoroastre, les Socrate, & notre Rédempteur, il vous fut dit, Monsieur, par le génie qui vous conduisait, que le tems dans lequel vous deviés connaitre pleinement ce dernier n'était pas encore venu. He bien, ce tems arrivera, vous verrés Jesus-Christ dans sa gloire, & vous aurés part à son bonheur. Il plaignit les pauvres pécheurs, il s'attendrit sur leurs misères, il s'empressa à les consoler. Les hypocrites sont les seuls envers les quels il se montra dur, & vous ne fûtes assurément jamais hypocrite.

Je lis actuellement des Lettres de Ganganelli en deux volumes, & j'en suis enchanté. C'était un vrai philosophe chrétien, que ce pontiphe. Si tous les hommes d'Eglise étaient animés de son esprit, il n'y aurait ni persécuteur, ni fanatique; nous en serions tous plus tranquilles, & Dieu en serait infiniment mieux servi.

Ici je retrace dans mon souvenir tout ce que vous avés fait pour porter les hommes à ne plus s'égorger pour des opinions, & je bénis Dieu de ce qu'il vous fit naître. Ce grand Etre sait Combien est grand le nombre de familles qui vous doivent le répos dont elles jouïssent, & il ne manquera pas de vous en récompenser.

Daignés Croire qu'il est à Ganges un homme qui vous aime, qui vous honore & qui vous respecte de tout son cœur. J'ai l'honneur de vous en assurer & d'être dans toute l'étendue des sentimens que je viens d'exprimer,

Monsieur,

Votre très humble et très obéïssant serviteur,

Pomaret