1776-04-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Gal.

Il y a un mois, monsieur, que je vous dois une réponse.
Pardonnez à mon état très languissant si je n'ai pas rempli mon devoir. J'approche du terme où tout aboutit, et je finirai ma carrière en regrettant d'avoir fait tant de chemin sans goûter la consolation de vous voir. Je mourrai près du pays où mourut le brave Zuingle qui pensait que les Numa, les Socrate et l'autre étaient tous de fort honnêtes gens.

On doute beaucoup que les lettres de Ganganelli soient de lui. Le monde est plein de sorciers qui font parler les gens après leur mort. Il y a d'autres gens qui s'érigent en prophètes: on nous avait assuré que de très sages ministres d'état s'occupaient de rétablir une ancienne loi de la nature qui veut qu'un enfant appartienne légitimement à son père et à sa mère, soit que le mariage soit une chose incompréhensible nommée sacrement, soit qu'on ne le regarde que comme une affaire humaine. Mais tout cela est renvoyé bien loin, et il faut attendre. Bien des gens de votre communion et de celle de mon curé, se marient comme ils peuvent. La société n'en est point troublée dans ma colonie. C'est aujourd'hui le jour de pâques; les uns chantent chez moi ô filii et filiae; les autres ne chantent point, et chacun est content sans savoir un mot de ce dont il s'agit. Tout ce que je sais c'est qu'il faut vivre en paix, et que je suis rempli d'estime pour vous, monsieur, comme de reconnaissance pour les sentiments que vous avez la bonté de témoigner à votre très humble et très obéissant serviteur

le vieux malade.