1763-02-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Philippe Fyot de La Marche.

Comme je deviens un tant soit peu aveugle, Monsieur, permettez que j'aïe l'honneur de vous écrire par mon clerc.
Nous marions demain madlle Corneille à un Bourguignon fort joli, officier de Dragons de son métier, et fils d'un maître des comptes. Mes anges Mr et made D'Argental, ont si bien fait par toutes leurs bontés, ont tellement supléé à nôtre ignorance d'une publication de ban qui devait se faire à Paris, que rien ne nous retarde plus. Un enfant, qu'on dit plus aveugle que moi, et qui est beaucoup plus puissant, se mêle de la cérémonie. Nous avons signé le contract de mariage; j'ai usé de la permission que vous m'avez donnée, d'assigner à madlle Corneille désormaismade Dupuits, vingt mille Livres sur la plus belle terre de Bourgogne. Comme il faut que je fasse apparoir, et que j'annèxe au contract que ces vingt mille Livres m'appartiennent, j'ai recours à vos bontés.

On nous flatte dans nos déserts que nous pourons avoir incessamment e plaisir de nous ruiner à vôtre parlement. Si made la comtesse de Pimbèche avait été Bourguignone, elle serait morte de chagrin ces deux années cy.

Je crois qu'on débusquera à la fin les Jésuites nos voisins que vous connaissez; il y en a un pourtant qui fait nôtre mariage demain à minuit. Je pense qu'il ne leur restera bientôt pour tout bien que des sacrements; on les lapide au bout de soixante et dix ans avec les pieres de port Royal.

Conservez moi vos bontés et agréez mon tendre respect.

V.