13e 9bre 1764 au Château de Ferney
Je vous fais mon compliment, mon cher ami, sur la place d'adjoint à mr de Bruge au Conseil de M: le Duc de Virtemberg. Mr le comte de Mommartin me mande qu'on vous la donne avec grand plaisir. J'aurais bien envie de venir à tâtons vous embrasser à Colmar; ma santé ne me le permet pas, et je me suis donné des chaines, je me suis fait une assez nombreuse famille d'adoption; les Turcs appellent celà les enfans de l'âme. Père Adam, que vous connaissez, est encor un de mes enfans; comment transporter tant de monde? Ce serait trop d'embaras pour un aveugle. Vous savez que Tobie envoia son fils chez Gabelus, et que le bonhomme resta chez lui.
Je crois vous avoir déjà mandé que les neiges me rendent aveugle quatre ou cinq mois de l'année dans le plus beau lieu de la nature. Mr le Duc De Virtemberg a la bonté de m'accorder le château de Montbelliard. Je pourais y aller passer les hivers avec tout mon train, mais j'ai bien peur de trouver des neiges par tout. Je voudrais savoir ce que c'est que ce Montbelliard. Vous savez combien il me plairait puisqu'il n'est pas loin de Colmar. Vous pouvez aisément vous informer de tout ce qui concerne cette habitation; mr Jeanmaire pourait vous dire s'il n'y a point quelque autre demeure dans le voisinage où je serais commodément. Il me faut bien peu de chose pour moi; mais il en faut beaucoup pour tout ce qui m'entoure. Je suis honteux de ne pouvoir marcher qu'avec 25 ou 30 personnes. Je puis faciliter mes transmigrations par une nouvelle négociation entamée avec m: le Duc de Virtemberg; elle se consommera dans les premiers jours de janvier au plustard, et nous pourons faire ce nouveau contract dans peu de temps, comme nous avons fait le premier. Je trouve ces emplacements très convenables et très sûrs.
Tâchez, je vous prie, mon cher ami, de savoir de mr Jeanmaire s'il loge quelqu'un dans le château de Montbelliard, et si je l'aurais tout entier à ma disposition.
Présentez mes respects à Mr et à Made de Klinglin. Je vous embrasse tendrement vous et toute vôtre famille.
V.