1764-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sébastien Dupont.

Vous voilà, mon cher ami, du conseil de M: le Duc de Virtemberg, mais songez que vous êtes aussi à la tête du mien. Soiez arbitre entre lui et moi, entre la grandeur et l'amitié.

Il me semble que quelques publicistes allemands prétendent que toutes les terres dépendantes du comté de Montbelliard sont substituées à perpétuité par des pactes de famille. Si celà était, comme je le présume, ma famille risquerait beaucoup; ma nièce surtout, aurait à se plaindre, et il se trouverait que je l'aurais dépouillée de mon bien en voulant le lui assurer. Je sais que mr le Duc De Virtemberg s'oblige pour lui et pour ses hoirs, mais ces hoirs pouront fort bien ne se point croire obligés. Mr le prince Louïs Eugène de Virtemberg, frère du Duc règnant, semble même refuser de s'engager par une simple parole d'honnêteté et de générosité qu'on lui demandait. Peut être avec le temps pourait-on obtenir de lui cette démarche que l'âme nôble d'un prince ne doit pas refuser. Mais enfin nous n'avons fait jusqu'icy, auprès de lui que de vains éfforts.

Vous sentez bien, mon cher ami, que ce n'est pas mon intérêt qui me guide. Je tombe dans une décrépitude infirme, et le Duc régnant me survivra sans doute, mais made Denis peut lui survivre, et vous savez que j'étais prêt de passer un autre contract avec lui, en faveur de mon autre nièce et de mes neveux. La difficulté qui se présente, arrête la conclusion de cette affaire, et fait trembler pour les précédentes.

Vous êtes à portée de savoir si en éffet le Duc régnant a pu stipuler pour ses hoirs, si les domaines de franche Comté et d'Alzace, répondent de la dette, et quelles mesures on pourait prendre pour nous donner toutes les sûretés nécessaires. J'avoue que je n'avais jamais douté que mr le Prince Louïs qui m'a honoré de ses bontés depuis son enfance, et qui est aujourd'hui mon voisin, pût faire la moindre difficulté d'acquitter un jour une dette si légitime, en cas qu'on eût le malheur de perdre son frère ainé. Je compte encor sur l'honneur qui dirige toutes ses actions, et qui ne lui permettra pas de faire une chose si contraire à l'élévation de son âme, et à la noblesse de son rang; mais enfin, il vaut mieux dépendre de la sanction des loix que de la volonté des hommes.

Je m'en remets à vous, mon cher ami; je vous prie de conduire ce pauvre aveugle, qui l'est surtout en affaires, et qui vous aime de tout son cœur.

V.

NB: Je présume que les terres du Duc de Virtemberg qui sont en France, sont régies selon les loix de la France, et il me semble que nos loix ne permettent plus les substitutions perpétuelles, excepté sur les Duchés pairies, mais j'ai cherché en vain ces règlements dans les conférences de Bornier. Il est rare de trouver dans les livres ce qu'on y cherche. Je vous suplie de conférer de tout celà avec mr de Bruge, qui doit être depuis longtemps au fait des affaires de la maison de Virtemberg.