1763-04-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Les Calas diront qu'ils prieront Dieu pour votre altesse sérénissime, mais je crois qu'elle leur fait plus de bien, qu'ils ne luy en feront jamais.
J'admire toujours que de pauvres diables disent qu'ils protégeront les grands auprès de Dieu. Ne voyla t'il pas une belle protection? Il me semble que si quelqu'un devait avoir du crédit auprès du créateur, ce serait, madame, une âme comme la vôtre. C'est à ceux qui font du bien dans ce monde à être les favoris du maitre qui dispose du monde présent, et du monde avenir.

Il y a deux ans que j'ay cessé d'écrire au roy de Prusse. Tant qu'il n'a pu faire autre chose que de verser du sang, j'ay respecté cette sorte de gloire. Mais celle dont il se couvre aujourdui étant plus humaine, elle m'intéresse d'avantage et m'enhardira jusqu'à le féliciter d'être Trajan après avoir été Cesar.

Je crois avoir mandé à votre altesse se que m. le prince Louis de Virtemberg était devenu philosophe suisse, et qu'il était retiré à quelques lieues de chez moy avec madame sa femme qu'il veut faire déclarer princesse. Ces déclarations sont sujettes à quelques inconvénients. On dit que madame la duchesse de Virtemberg, la régnante, ou non régnante, qui n'a plus ny père ny mère ny mari, pourait bien se retirer avec son frère, et se faire philosophe aussi. Pour moy chétif j'avoue madame que c'est à votre cour que je voudrais philosopher. Mais je suis si vieux, j'ay si peu de santé que je ne peux plus raisonablement espérer un second voiage à Gotha, et c'est là ma plus grande tribulation.

Je viens d'envoyer à Geneve pour savoir si vos ordres touchant le Corneille ont été exécutez. Ils le sont madame. Votre altesse se signale par tout ses bontez. Qu'elle daigne agréer mon profond respect.