1756-12-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Le jeune gentilhome anglais nommé Mr Keat qui aura l'honneur de rendre cette lettre à votre altesse sérénissime me fait crever de jalousie.
Ce n'est pas que son mérite, qui n'inspire que des sentiments agréables, fasse naitre en moy la triste passion de l'envie, mais il a le bonheur de voir et d'entendre votre altesse sérénissime. Ce bonheur m'est refusé. Il y a là de quoy mourir de Douleur. Il peut du moins rendre bon témoignage de mon chagrin. Il peut dire si je regrette autre chose dans le monde que le séjour de Gotha.

Il arrivera peutêtre dans le temps qu'on donnera quelque bataille qu'on prendra quelque ville dans le voisinage de vos états, mais il verra dans la cour de Votre Alt Se ce qu'il aime, la paix, la concorde, l'union, la douceur d'une vie égale, espèce de félicité qu'on trouve rarement dans les cours, félicitéz que vous donnez madame, et que vous goûtez. Puisse l'année 1757 être aussi heureuse pour elle et pour toutte son auguste famille, qu'elle commence malheureusement pour ses voisins. Je me mets à ses pieds pour cette année et pour touttes celles de ma vie.

Je serai toujours avec l'attachement le plus inviolable et le plus profond respect

Madame

de Votre altesse sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire