à Ferney par Genève 9 juillet 1767
Madame,
La vieillesse, la maladie, et la retraitte me laissent bien rarement la consolation d'écrire à votre Altesse Sérénissime.
Les embarras causez par les troubles de Geneve, des trouppes de France envoiées dans notre petit pays, la longue interruption de toutte communication, la disette qui est attachée à ces petites révolutions, et touttes les peines journalières qui en résultent, voilà bien de tristes raisons madame qui excusent un si long silence.
A touttes ces peines s'est jointe une nouvelle horreur de la Baumelle. Votre altesse se peut se ressouvenir qu'après avoir insulté votre auguste nom dans un mauvais livre intitulé Mes pensées il osa paraitre dans Gotha et qu'il en partit précipitament avec une fille qui avait volé sa maitresse. Il a eu en dernier lieu la hardiesse d'imputer cette dernière action à un autre Française qui s'est adressé à moy pour se plaindre de cette calomnie et pour demander mon témoignage. J'ay été obligé de le donner attendu que j'ay été témoin de la vérité et que tout Gotha avait vu la Baumelle partir avec cette malheureuse lorsque je vins vous faire ma cour. Il n'est pas juste en effet madame que l'innocent pâtisse pour le coupable. Aucun autre Français que la Baumelle ne serait capable de ce procédé. J'ay donc cru que je ne manquais pas à ce que je dois à votre Altesse Se en donnant un certificat autentique devant les juges du point d'honneur qu'on appelle en France la connétablie. Ce certificat atteste que ce fut la Baumelle et non un autre qui partit de Gotha avec une servante qui avait volé sa maitresse. Cette affaire est très importante pour le gentilhomme faussement accusé. Mon devoir est de vous en rendre compte. Je me flatte que votre équité approuvera ma conduitte.
Je me mets aux pieds de Monseigneur le duc et de toutte votre auguste maison. Permettez moy madame de ne point oublier la grande maîtresse des cœurs. Agrées le profond respect avec le quel je seray jusqu'au tombeau
Madame
de votre altesse sérénissime
le très humble et très obéisst servr
Voltaire