à Lausane 4 janvier 1758
A tous croates, pandours, houzards qui ces présentes ouvriront salut et peu de butin.
Pandours et croates laissez passer cette lettre à son altesse sérénissime madame la duchesse de Saxe Gotha qui est aussi aimable, aussi bienfaisante, aussi noble, aussi douce, aussi éclairée que vous êtes ignorants, durs, pillars et sanguinaires. Sachez qu'il n'y a rien à gagner pour vous si vous prenez ma lettre en chemin, et que ce n'est pas là un butin qui vous convienne. Vous me feriez une extrême peine dont il ne vous reviendrait rien du tout. D'ailleurs il ne doit être rien de comun entre madame la duchesse de Gotha, et vous, vilains pandours. Elle est le parfait modèle de la politesse et vous ne savez pas vivre. Elle a baucoup d'esprit, et vous n'avez jamais rien lu, vous n'avez pas le moindre goust, vous cherchez à rendre ce monde cy le plus abominable des mondes possibles et elle voudrait qu'il fût le meilleur. Il le serait sans doute si elle en était la maitresse.
Il est vray qu'elle est un peu embarassée avec le sistème de Leibnits. Elle ne sait comment faire avec tant de mal phisique et moral pour vous prouver l'optimisme mais c'est vous qui en êtes cause maudits houzards. C'est par vous que le mal est dans le monde, vous êtes les enfans du mauvais principe. Je vous conjure au nom du bon principe de ne jamais entrer dans ses états, j'espère encor y aller un jour; et je ne veux point y trouver de vos traces.
Madame
Si ces messieurs sont un peu honnêtes, votre altesse se recevra sans doute mes profonds respects et mon très tendre attachement en 1758. Monseigneur le duc, toutte votre auguste famille daigneront se souvenir de moy. La grande maitrese des cœurs ne m'oubliera pas. N'a t'elle pas pris soin de quelque pauvre français blessé à Rosback? ne luy a t'elle pas donné des bouillons?
Je veux finir madame par faire réparation à messieurs les houzards. Je me flatte qu'ils n'ont point ravagé vos états, que votre Altesse Se est en paix au milieu de la guerre, et que la sérénité de sa belle âme se répand sur son pays. Je ne suis qu'un pauvre suisse, mais il n'y a personne dans les treize cantons qui désire plus d'être à vos pieds que moy. Qu'on fasse la paix, et je fais un pèlerinage dans votre temple qui est celuy des grâces. Je réitère à Votre altesse se mon respect, et mes vœux
le suisse V.