aux Délices près de Geneve 25 xbre 1758
Madame,
Que je plains votre altesse sérénissime! et qu'elle a besoin de toutte la sérénité de sa belle âme! Quoy sans cesse entre l'enclume et le martau?
obligée de fournir son contingent pour le malheur de son pays, entourée d'états dévastez, et n'ayant que des pertes à faire dans une confusion où il n'y a rien à gagner pour elle? où est le bel optimisme de Leibnits? il est dans votre cœur et n'est que là. Le Roy de Prusse me mande toujours qu'il est plus à plaindre que moy, et il a très grande raison. Je jouis de mes hermitages en repos et il n'a des provinces qu'au prix du sang de mille infortunez. Au milieu des soins cruels qui doivent l'agiter sans cesse, il me paraît bien autrement touché de la mort de sa sœur que de celle de son frère. V. A. Se connaissait elle madame la markgrave de Bareith? elle avait baucoup d'esprit et de talents. Je luy étais très attaché et elle ne s'est pas démentie un moment à mon égard. Vos vertus, votre mérite, vos bontez font ma consolation et mon soutien après la perte d'une princesse à qui j'avais les plus grandes obligations.
Je la suivrai bientôt, ma caducité et mes continuelles infirmitez ne me permettent pas d'espérer de pouvoir encor me mettre à vos pieds. Quand je saurai que la tranquilité est revenue dans vos états, quand j'apprendrai que les horreurs de la guerre n'approchent plus de votre charmante cour, et que le vilain Dieu Mars ne trouble plus le séjour des grâces, alors je m'écrirai tout est bien avec la grande maîtresse des cœurs. Je présente mes vœux et mon respect à toutte votre auguste famille. Le règne du cardinal de Bernis n'a pas duré long temps. Tout passe, la vertu reste, voylà ce qui vous soutient madame.
Je me mets à vos pieds avec le plus profond et le plus tendre respect.
V.