à Ferney 10 janvier 1763
Madame,
Les bontez de votre altesse sérénissime me raniment au milieu des neiges.
J'en ay de deux façons, celles de mon âge de près de soixante et dix ans, et celles des alpes. Ces deux ennemis ne m'ont pas empêché d'avoir l'honneur de vous écrire; mais d'autres ennemis du genre humain à pied et à cheval qui inondaient votre Allemagne, pouraient bien avoir intercepté mes hommages.
Dieu mercy madame nous allons être défaits de la guerre et des jésuites. Il ne restera plus guères de fléaux. Je crois en effet le Roy de Prusse un peu hâlé des fatigues de ses campagnes, et son esprit toujours brillant. Il a plus de gloire que d'années. Je n'ay plus l'honneur de luy écrire depuis longtemps. Je souhaiterais seulement n'être pas au nombre de ceux qui en admirant son mérite ont un peu à se plaindre de sa personne.
Il me parait madame que malgré cette paix commencée il y a encor des orages en Allemagne. C'est la mer qui gronde encor après une violente tempête.
J'attends ce soir madame dans mon hermitage paisible un prince qui a été un peu balotté dans touttes ces secousses, c'est le frère du duc de régnant de Virtemberg et ce n'est pas le prussien. Aussi n'a t'il pas épousé la nièce d'un Roy, mais une demoiselle de Saxe fort jolie. Je crois qu'il l'amènera. On dit que ce mariage n'est approuvé que de ceux qui savent aimer, et que le baron de Tunderdentrunk en serait fort mécontent. Les nouveaux mariez ont loué une maison dans le pays des Vaux. Ces avantures ne sont pas si funestes que celles de Russie.
Jouissez madame au milieu des horreurs et des folies de ce monde, de votre destinée glorieuse et tranquile que vous méritez si bien. Recevez avec votre bonté ordinaire, vous et votre auguste famille le profond respect et l'attachement inviolable que j'ay pour votre altesse sérénissime sans oublier assurément la grande maîtresse des cœurs.