1756-09-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Voilà une de ces occasions où il aurait fallu à la tête de l'électorat de Saxe quelque héros de la branche ainée qui eût la grandeur de vos sentiments et la sagesse de votre esprit.
Je me flatte au moins que si la guerre s'allume, l'heureuse tranquilité dont jouissent les états de votre altesse sérénissime ne sera point troublée. Qui sait àprésent madame sur quelle tête cet orage crévera? je suis comme les russes qui lors qu'on leur demande si leur autocratrice ira ou non à la promenade, répondent il n'y a que Dieu et saint Nicolas qui le sachent.

On a déjà donné les ordres en France pour assembler environ vingt mille hommes auprès de Mets. Mais c'est une démarche prudente qui n'annonce pas encor l'effusion du sang humain. Quelque chose qui arrive, il est probable que nous autres bons suisses nous serons toujours tranquilles. Tout indifférents que nous paraissons, nous sommes curieux, et nous attendons le dénouement avec impatience. Mais parmi tant d'agitations mes vœux les plus ardents sont pour la prospérité de votre altesse se et de son auguste famille. Je me flatte qu'elle jouit d'une santé parfaitte. Je la souhaitte à la grande maîtresse des cœurs; et je me mets à vos pieds madame avec le plus profond respect et l'attachement le plus inviolable.