1756-12-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Je ne conçois rien madame à l'aventure de la lettre du 3 novembre dont vous me faittes l'honneur de me parler, mais aussi je n'entends pas davantage touttes les avantures de ce bas monde.
Evêques, parlements, saxons, prussiens, autrichiens, russes, tout cela me confond. Il y a douze mille ouvriers à Lyon qui mendient leur pain parce que le Roy de Prusse a dérangé le commerce de Leipsik et ce monarque prétend que Leipsik luy a encor baucoup d'obligation. La famine menace la Saxe et la Boheme. Laissons les hommes faire leurs communs malheurs et jouissons de notre heureuse tranquilité, vous à l'isle Jard, et moy aux Délices. Je ne me plains que d'être trop loin de vous. Ne croyons rien de tout ce qu'on nous dit. Il est vray qu'un misérable s'est avisé de faire une édition infâme d'une pucelle, mais il n'est pas vrai que je dusse retourner en France. Dieu me préserve de quitter la retraitte charmante que je me suis faitte et qui mérite son nom des Délices! Quand on s'est fait à notre âge madame une demeure agréable, il faut en jouir. C'est le parti sage que vous avez pris et dans le quel il faut persister.

Permettez moy de présenter mes respects à Mr le 1er président d'Alzace et à madame de Klingin et surtout à monsieur votre fils. Attendons patiemment l'issue des troubles d'Allemagne. Laissons les gens oisifs écrire au nom du cardl de Richelieu. Ce monde est un orage, sauve qui peut.

Madame Denis vous souhaitte des années de santé et de tranquilité en nombre. Nous en faisons autant pour me de Broumat. Nous n'oublions pas Marie, mais nous craignons que les prussiens ne troublent la maison archiducale.

Adieu madame, conservez vos bontez au bon Suisse

V.