1756-09-04, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Sans être philosophe je suis encor un peu moins politique: je ne prévois les événemens que lors qu'ils touchent le bout de mon nés, qui n'est guère long.
Tout ce que je puis faire en Votre faveur Monsieur c'est de Vous conter ce que je sais et qui vient d'arriver depuis le cours de cette semaine: c'est que le Roi de Prusse est entré avec un corp de troupes de quarente, d'autres disent de soisantes milles combattans, dans le teritoire de la Saxe Electorale: qu'il a affiché et déclaré qu'il n'y venoit point come Enemi, mais qu'il les regardoit come ses possessions et les traiteroit come ses proprés sujets: qu'il étoit obligé à cette démarche pour prévenir ses enemis et pour éloigner de ses Domaines le feu de la guerre dont il étoit menacé: qu'il avoit tout fait pour éviter les troubles et pour maintenir la tranquilité, mais que tous ses soins avoient étés en vain, et qu'enfin la prudence l'avoit déterminé à faire ce qu'il faisoit: l'on croit qu'il ne s'arêtera pas longtems en Saxe et qu'après avoir pris les contributions qu'il a exigé il tournera ses pas vers la Boheme sur la frontière de la quelle les Saxons se sont fichés pour abandoner aux prussiens leurs terrés et leurs biens. Voilà à peu près tout ce que j'ai dans mon magazin de nouvelles: pour une autre fois je Vous mendrai d'avantage Monsieur: car je ne crains point d'en manquer. Le vin une fois tiré il faudra bien le boire quelque amer qu'il soit et quelque répugnence qu'il cause. Tous les jours nous fournirons d'autrés événemens, fâcheux aparement pour la pauvre humanité; un trait que j'oubliois et qui mérite de Vous être dit encor c'est que la patente du R. de Prusse finit par assurer qu'il regardoit la Saxe come un dépôt sacré qu'il rendroit come tel en son tems à son propriétaire. Je suis avec toute la considération, toute l'estime et l'affection imaginable

Monsieur

Votre très affectionée amie

LDdG