à Gothe ce 7 juin 1757
Ah la charmente lettre que Vous venés de m'écrire: elle m'a causée Monsieur des transports de joye: je ne conçois point come l'on peut avoir tant d'esprit et tant de souffrances à la fois: mais Vous ête inconcevable en tout: Vous mèprisés Vos douleurs Monsieur come le Roi de Prusse ses Enemis.
Je voudrois que Vous n'eussiés plus à combattre et que le Roi de Prusse nous procura la paix: une Paix promte et durable. J'admire les grandes Victoires remportées par la Sagesse et la valeur. Mais les ruisseaux de sang humain qui inondent les champs de battaille et les gémissements de tant d'expirants me font horreur. La Ville de Prague ne s'est pas encor rendue, mais elle se rendra à coup sûr, si elle n'est pas consumée par les flâmes: la forte garnison qui s'y trouve ne l'empêchra pas d'être consumée; l'état déplorable des habitans fait frémir, c'est bien pis qu'un tremblement de terre. La garnison de Prague est au de là de cinquante mille homes. Les assiégés ont hazardés une sortie de douze mille combattans qui n'a pas réussie. Le Prince Charles, le Maréchal Broun avec une quantités de Princes et de généraux sont enfermés dans cette capital de la Boheme. Les Princes ont fait des tentatives pour que le Roi leur permete d'oser en sortir, ce que le Roi n'a pas voulu, disant qu'il ne les avoit pas invités à venir combattre contre lui: come ils y étoient une fois, qu'il étoit juste qu'ils y restassent et qu'ils partageassent le sort de ceux qu'ils avoient voulus deffendre. Le Maréchal de Daun a reculé avec son corps d'armée, à mesure que le Prince de Bevern a anvancé vers lui, de façon qu'ils touchent et l'un et l'autre j'usqu'aux frontières de la Moravie. Je ne jure Monsieur, ni par st Nicolas ni par Federic, mais bien par l'humanité que je désire la paix: je ne voudrois pas jurer non plus, qu'il ne se trouva un pauvre petit bataillon des nôtres parmi le corps d'observation hanovrien. Cela n'empêche pas je pense d'être amis de la France et de respecter infiniment son Roi. Vous savés bien Monsieur que quand on promet il faut tenir parolle si l'on veut être honête, et l'on promet souvent sans en prévoir les suites, et sans même pouvoir les prévoir. Voilà peutêtre notre cas, on s'est engagé avant qu'il fût question de guerre, ni d'alliés ni d'alliance.
Je fais mille voeux Monsieur pour Votre chère santé et tout autant pour la conservation de Votre Amitié. Vous ête le bien aimé ici, le Duc, mes enfans, la reine des coeurs et moi plus que tous les autres ensemble je Vous honore et Vous chéris come la plus affectionée de Vos amies
LD
P. S. L'on assure pour certain que l'Electeur de Baviere s'est déclaré Neutre. Encor une nouvelle et puis je me sauve, un certain Mayer, qui comende 1500 huzards prussiens tient la Ville de Nurenberg et tout le cercle de Franconie en échec. Le margrave d'Anspac a quité fort à la hâte sa résidence aparament pour éviter les pourparlers avec ce redoutable Mayer.