ce 16 sep: 1758
Votre Baron genevois se conduit au mieu: notre Ministre vient encor de lui écrire pour quelques peu d'éclaircissements qui nous reste à lui demander, et selon toute aparence nous toucherons dans peu de semaines la Some en question: Ohlenschläger à Frankfurth en est déjà averti, et nous fournira l'argent.
Nous ne n'oublierons jamais Monsieur les peines et les soins que Vous Vous ête doné dans cette affaire, et nous ne chercherons que l'ocasion pour Vous prouver notre éternelle reconoissance. Bien loin de chercher plus de crédit nous ferons tout au monde pour nous en tenir à cette Some et pour satisfaire au terme stipulé à notre honête créancier. Il faudroit suposer bien du malheur pour passer outre et pour acumuler plus de detes. Ah mon cher Monsieur de Voltaire toute la Sagesse, toute la prudence humaine ne suffit point dans ces tems infortunés. On n'ose pas même confier à la plûme tout ce qu'on souffre et tout qu'on craint. Il n'y a ni grande ni petite circonstance qui n'influe dans notre Atmosphère. La mort du Duc de Weimar nous devoit être très indifférente par les mesures qu'il avoit prises, par Le testament qu'il avoit fait, par Les tuteurs qu'il avoit només. Car il avoit déclaré d'abord Le Roi de Danemarq et la jeune veuve tuteurs et Administrateurs de Son pais et de ses enfans, car par parenthèse la Duchesse vient encor d'acoucher d'un second Prince. Quelque tems après avoir fait ce testament, le défunt s'avise d'ajouter un codicil par le quel, il rend Le Roi de Danemarq tuteur honoraire et exécuteur de son testament, le Duc de Brunswic Père de la Duchesse, Administrateur et curateur j'usqu'au tems de la Majorité de cette Princesse, et il exige en même tems de cette dernière de demander d'abord après le décès du testateur, veniam étatis chose inouie pour une Princesse et dont on ne conoit aucun exemple. La Duchesse en conformité de la dernière volonté de son Mary demande veniam etatisà l'empereur, qui accorde sa prière mais lui adjoint come tuteur et administrateur Le Roi de Pologne Electeur de Saxe: ce qui fait un préjudice pour toute la maison de Saxe. Car de cette manière l'empereur rejette le testament, le codicil et met en doute la faculté des princes de pouvoir disposer de la tutelle de leurs enfans et de l'Administration de leurs Etats. Tout cela dis je nous causera encor bien des tracasseries et des chagrins, je ne Vous ai pas voulus parler de tous ces petits événemens arrivés dans notre étroite sphère parce que j'ai crains de Vous enuyer et que tout cela ne Vous intéresseroit guère. La battaille de Zorndorf gagné sur les Russes par le Roi de Prusse fait un événement très important et très glorieu pour ce Monarque, mais je doute pourtant encor qu'il accéléra la paix que toute Ame humaine et impartiale doit désirer avec autant d'anxiété que son salut. Ce qu'il y a encor de très singulier dans cet événement ou dans cette Victoire, c'est qu'elle est raporté si différament par les gazetiers de Viene et de Berlin. Les premiers avouent que les Russes ont étés battus le 25 d'Août mais que le lendemain la battaille avoit recomencée des plus belles, que les Russes avoient regagnés le terain et que de toute l'armée Prussiene il n'y avoit été de sauvés que huit mille homes et quelques Escadrons de la cavalleries. Les Berlinoises Vous couvrent le champ de battaille de vingt mille Russes tous restés sur le careau, cent trois canons que les Prussiens veulent avoir pris, 27 étendarts, toute la caisse militaire, toutes les munitions, deux mille prisoniers, enfin c'est selon ceux ci une Victoire complète. Ce qu'il semble le plus certain, c'est que c'étoit une journée bien meurterière, un carnage affreu, un combat des plus opiniâtre qui a duré du matin au soir. Quel tableau! l'humanité en frémit. Les jours suivants les Russes ont brûlés plus de dix villages et ont comis selon les gazettes de Berlin des cruautés incroyables.
Toute ma famille se porte bien, Vous chérit et Vous admire: c'est n'être pas destitué de tout mérite. Je m'en glorifie, c'est mon unique consolation. Je fais chorus à tous ces sentimens, la grande Maitresse aussi, nous Vous ambrassons d'inclination.