ce 6 d'Août 1759
Je profite avec plaisir Monsieur de l'ocasion présente pour Vous renouveller les sentimens de ma parfaite estime, et pour Vous aprendre au cas que Vous n'en soyés déjà instruit par Mr: Labat Baron de Grandcourt lui même, que nous lui renvoyons, par le porteur de ces lignes la Some qu'il nous a bien voulu prêter; aussi bien que les intérêts dévoulus jusqu'à la nouvelle Anée prochaine.
Ce qui nous a déterminés à payer ce capital avant le terme des quatre Ans stipulées, est la perte considérable que nous avons faite et qui selon toutes les aparences auroit augmentée d'Anée en anées par le changement fréquand de la valeur et du cours des espèces: inconvénient que nous n'avions pas pûs tout à fait prévoir, et que Ohlenschläger a sûs habillement mettre à profit à notre préjudice. C'est du consentement de Mr: le Baron de Grandcourt que nous lui rendons son Argent, et je me flatte Monsieur que Vous ne désaprouverés pas non plus le parti que nous venons de prendre. En attendent Vous pouvés compter que les soins, et les peines que Vous Vous êtés donés pour nous procurer ce crédit ne s'effaçera jamais de notre mémoire, et que nous désirons avec ardeur de pouvoir un jour Vous en témoigner notre juste et vive reconoissance. Vous saurés peutêtre déjà que l'avant garde des Prussiens a été repoussée par les Russes près de Crossen le vingt trois du m. p., que le Roi et son Armée est resserée et pressée de toute part, que l'armée de l'empire semble aussi vouloir se mettre à ses trousses; de façon que la situation de ce Monarque semble devenir de jour en jours plus critique, et qu'il lui faudra toute la resource de son Génie et de sa science Militaire, pour se tirer de ce mauvais pas. Le Prince Ferdinand ne se trouve pas dans des circonstances plus favorable. Minden est entre les mains des François, Munster vient de s'y rendre avec une garnison, à ce que l'on prétend, de trois mille homes. Je ne sais Monsieur si Vous avés reçu ma dernière lettre, qui étoit si je ne me trompe des premiers jours du mois de juin. Le tems m'a bien duré d'aprendre de Vos chères nouvelles. J'espère que Vous ne me tiendrés plus rigueur. J'ai besoin Monsieur de Vos lettres, ne me privés point de grâce de cette source d'agrémens. Toute ma famille me charge de mille assurences d'Amitié pour Vous. La charmente Grande Maitresse Vous honore, Vous aime et Vous ambrasse d'inclination. J'ose Vous demander un petit signe de vie, en faveur des sentimens que je Vous ai voués pour tout le reste de mon existence.
Cette lettre ayant été écrite et cachetée depuis plussieurs jours notre home ne pouvant partir, et les circonstances s'étant changés, je r'ouvre ma lettre pour Vous dire Monsieur que le Prince Ferdinand vient de r'emporter la victoire sur l'armée de France près de Minden prussien le premier de ce mois, que le lendemain de cet événement l'armée des Alliés a repris Minden et les François se sont repliés sur Rindeln. Si cette battaille est décisive ou non c'est ce que j'ignore encor: tout ce que j'en sais pour le moment, c'est que quelques Généraux et quelques mille homes ont étés fait prisoniers, et quelques canons pris. Peutêtre que Vous en saurés déjà d'avantage avant l'arrivée de ma lettre. Le sang qui a été répendu me cause de la peine: on s'en consoleroit néamoins si l'on osoit espérer qu'une paix durable en soit le prix.