1760-01-03, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai une grâce à Vous demander, et je me flatte Monsieur que Vous voudrés bien me l'acorder; voici dont il est question. Mes enfans se sont proposés de jouer Alzire que j'aime tant, et ils ignorent tout come moi coment ils doivent s'habiller? J'ose donc Vous conjurer de nous mettre au fait et de nous instruire à cet égard. J'imagine que le plus simple seroit si Vous vouliés sur un petit bout de papier me faire dessiner l'habillement et y ajouter à côté l'explication, nous Vous aurons tous Monsieur une véritable obligation de cette déférence. Mes enfans n'ont jamais encor joués de tragédie mais plussieurs petites pièces de comédies; ils se font une si grande fête de représenter Alzire que je n'ai pus que doner la main à leurs désirs. Ce n'est pas que je crois qu'ils s'en aquiterons au mieux, mais la volonté seule m'en plait et je ne veus pas les décourager. D'ailleur nous avons ici un maitre de langue françois qui déclame très joliment et qui se donne beaucoup de peine pour les instruire. Ma fille aprend le rôle d'Alzire et mon fils ainé celui de Zamor. Je ne sais ce que je donerai Monsieur si Vous pouviés être présent à leur représentation. Selon toutes les aparences Mr: Tronchin a passé par ici inconito pour se rendre à Berlin. Nous aprimes cette nouvelle par les gazettes et en même tems par des lettres particulières de Frankfurth et nous avions pris toutes les mesures pour l'arêter au moins quelques heures chés nous: mais malheureusement il nous est échapés, j'en suis très mortifiés car nonseulement j'aurois étés extrêmement flattée de faire sa conoissance mais j'aurois très souhaitée pouvoir le consulter sur plussieurs cas qui me touchent de fort près. Si Vous ête en corespondance avec lui Vous me feriés grand plaisir Monsieur de persuader Mr: Tronchin de se s'arrêter quelques jours ici quand il quitra B. et retournera chés lui. Apropos savés Vous Monsieur que ce vilain Freytag a passé le pas par un coup d'Apoplexie: je crois qu'il est mort à Hambourg. Le Prince Héréditaire de Brunswic a joint le Roi avec son corps de troupes le 24 ou le 25 du mois passé. C'est quelque chose d'inoui que la diligence de cette marche et sur tout dans une saison aussi rude. On s'attend d'un jour à l'autre à un événement important et décisif: puisse til être tel à nous procurer une paix promte, avantageuse et durable. Je le souhaite avec ardeur pour l'amour de l'espèce humaine. J'espère que Vous aurés reçus toutes mes lettres. Je Vous en ai écrite quatre ou cinq dans un très court espace de tems. Md ͞Pertriset s'attent aussi à une réponse favorable de Votre part. Conoissés Vous un certain jeune home nomé Edelsheim qui a été quelque tems à Geneve et qui s'y est beaucoup formé? sans doute Vous l'avés vû car il se loue infiniment de Vos bonté mais si Vous ne l'avés pas oublié parmi une si grande foule de jeunes gens qui Vous fond continuelement la cour c'est ce qui pouroit bien être. Toute ma famille Vous ambrasse d'inclination. La chère grande Maitresse Vous assure de ses égards et moi je Vous conjure Monsieur de me conserver cette disposition favorable qui fait ma félicité. Je suis de toutes mes facultés

Votre servante et Votre affectionée amie
L. D.