ce 7 février 1760
Je rends grâce à Dieu d'avoir cinquante Ans: c'est peutêtre la première fois en ma vie que je pense à en remercier le Ciel.
Ce qu'il y a de singulier et de touchant Monsieur c'est que ce soit Vous qui fassiés naitre cette idée et cette reconoissance. Si j'étois jeune, plus susceptible de soupson, ou moins sûre de ma manière d'être, j'aurois crus que cette épitète de coquete s'adressoit à moi. Mais les circonstances étant telles que je les sens et que je les vois je n'ai pas pris le change. Je sais que la belle dont Vous parlés n'est pas la belle aux cheveux d'ors, que c'est bien plustôt la belle aux cheveux gris, la belle par exelence, ravissante, attrayante, sémillante en apas. Je reconois même son Amant. Pour le confident je me suis un peu rompue la cervelle parce que celui que je lui conois doit être nécessairement consulté si elle ne veut pas passer tout à fait pour une perfide et une ingrate. Il est vrai que ce confident que je supose, n'a pas le coeur fort tendre de son petit naturel, mais il est riche et les beaux yeux de sa cassete sont très séduisant et bon à ménager. Je Vous demande pardon Monsieur je parle en aveugle des couleurs et je juge un peu sur l'étiquete du sac. Quand on n'est pas au fait des choses l'on se trompe facillement. Je ne suis pas en relation avec cette coquete, je ne l'ai peutêtre vue qu'une seule fois, et Dieu sait coment. Elle n'étoit allors assurément pas dans son faste. Malgré cela elle étoit charmente. Je doute fort qu'Alzire s'aquite au gré de mes désirs de son rôle, quoique il faut que je lui rende la justice aussi bien qu'à Zamor qu'ils se donent toutes les peines du monde pour faire au mieu. Que ne donerai je Monsieur si Vous pouviés être à même pour les instruire et les soufler. Ils s'en font une joye inexprimable de cet amusement, et moi je suis ravie et enchantée quant je puis leur en procurer d'inocents. Ils faut des ocupations à la jeunesse et l'on est trop heureu quand on peut unir l'utile à l'agréable et les empêcher de tomber dans la paresse et l'enuy, enemis dangereux de l'humanité. Excusés je Vous conjure mon ton de Pédagogue, c'est la veille Pertriset qui me done cette impulsion. Apropos de celle ci, Vous me feriés grand plaisir Monsieur si Vous vouliés m'aprendre si Votre corespondant a reçu son gros paquet, elle imagine qu'il renfermoit des comptes, elle m'assure qu'au juste elle l'ignore. Tous que nous savons de nouvelles ici des armées C'est que les Prussiens ont étés repoussés d'Anclam et le général Manteufel être fait prisonier avec deux cents soldats à cette ocasion. Continués moi Monsieur Votre chère Amitié qui fait le charme de ma vie. Encor un mot d'Alzire, faut il qu'elle soit sans chignon, les cheveux noués seulement et en boucles? lui faut il des brodequins? J'abuse de Votre indulgence. Où est ce que l'on imprime les poésies du philosophe de Sans souci? je seroit très curieuse de les lire. Vos lettres Monsieur font ma consolation, voyés si ces sentimens sont dignes de Votre suport. L'aimable grande Maitresse est toujour souffrante et toujour Votre admiratrice. Toute ma famille Vous honore et Vous chérit, c'est le ton de ma maison.