ce 9 d'octobre 1760
J'ai en vérité bien des obligations à la Comtesse de Baswiz.
Elle aide à m'entretenir dans Votre cher souvenir, et elle m'atire même des éloges de Votre part qu'elle mériteroit seule et qu'elle ne devroit pas partager avec moi. J'écris come je puis et non come je veus, souvent come il plait au hazard et à ma plûme. Je serois très fâchée si mon coeur n'étoit pas plus pur que mon langage et plus corect que mon stile. Il me suffit Monsieur que Vous comprenés mes idées et mes sentimens et que le langage de mon amitié ne Vous paroisse ni étrange ni barbare. Je suis extrêmement sensible à Vous trouver toujour le même à mon égard, à Vos bontés, à Vos attentions. Je mets Votre estime audessus des avantages et des talents les plus brillants, mais je voudrois pouvoir m'en rendre digne. Le don que Vous m'anoncés du premier volume de Votre histoire de Piere premier me pénètre d'avance de joye et de reconoissance, je l'attens avec une impatiance qui ne s'exprime point de même que la tragédie que Vous me montrés de loin. Pourquoi ne me l'envoyés Vous pas dans le même paquet que l'histoire de Russie? Voulés Vous dans cette ocasion répandre Vos bienfaits goute à goute come Machiavel? Non, Votre belle Ame n'est pas faite pour suivre les maximes d'un pareil législateur. La tendre part que Vous daignés prendre à mes inquiétudes passés me prouve bien agréablement Votre bienfaisance. Grâce à Dieu j'en suis quite pour la peur, mon cher Erneste est entièrement rétablis de sa dernière maladie. Ma tendresse trembloit pour sa perte mais aussi fut il très mal. Pendant trois jours il avoit des chaleurs execives qui me désolèrent. A son âge il est effrayant de voir un sang bouillant prendre une forte fièvre. Il étoit à voir et à toucher come un fournau ardent. Notre Esculape a nomé cette maladie une fièvre dépuratoire. Je ne sais si l'épitète est juste mais je sais bien ce que mon coeur en a souffert. Je voudrois être un peu moins sensible et à mon âge cela devroit en être ainsi. Mais on n'est pas toujour ce que l'on devroit. Torgau est entre les mains de l'empire et du cher Duc de Wurtemberg. Hulsen a été obligé de se retirer jusqu'à Coswig, le comendant de Leipsig a évacué de son propre gré cette ville, cela veut dire sans y être forcé, moyennant quoi toute la Saxe Electorale est abandonée des Prussiens. Nous avons eus une grande dispute sur les derniers mots de Votre adorable lettre. Croyés Vous que certain Héros ne sera jamai heureu, moralement? ou bien politiquement? Vos lettres à Palissot sont adorables come tout ce qui sort de Votre divine plûme.
Assurément ma chère Amie a été allarmée pour mon fils car elle partage bien vivement tout ce qui me touche. Elle est actuellement bien malade aussi, elle Vous aime et Vous admire toujour malgré ses souffrances. Elle mériteroit tout un autre sort cette charmente Dame. S'il dépendoit de moi de la rendre heureuse elle seroit digne d'envie. Aimés nous toutes les deux car nous Vous adorons. Toute ma famille en fait autant. Je Vous défie Monsieur de pouvoir être plus chéris et plus honorés partout ailleur que Vous l'ête ici. Cela n'est pas tant flatteur pour Vous que pour nous.