1753-09-15, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ose me flatter Monsieur que la nouvelle que j'ai à Vous anoncer Vous fera plaisir: il s'agit de Vous réconciller avec Votre ancien Ami et protecteur: et voici come se trouvent les choses; Le Comte de Gotter après son retour de Montpellier s'arrêta quelques semaines ici: je lui contai Votre avanture et come il étoit sur le point d'aller à Berlin, je le priéé de faire tout son possible pour Vous remettre dans l'esprit du Roi, que Vous le méritié bien par l'attachement tendre et respectueu que Vous lui portiéz: que j'envisageois tout ce qui s'étoit passés entre Vous et lui, come un dépit amoureux, que Vous parliéz de lui en Amant révolté et méprisé: mais toujour en Amant: et qu'enfin s'étoit un ouvrage digne du Comte de Gotter, que de raccomoder tout à l'amiable: qu'en mon particulier je lui aurois un obligation infinie s'il réussisoit dans cette enterprise: il s'est chargé de cette petite comission, et il vient de me faire savoir qu'il espéroit d'obtenir ce dont je l'avois chargé: qu'il avoit hazardé de parler de Vous au Roi: que celui ci à la vérité paroissoit encor piqué: mais que c'étoit pourtant sans aigreur: ce sont les propres parolles de Gotter que je Vous écris: que le Roi lui avoit dit: je me réserve de Vous parler plus amplement sur ce sujet: affin que Vous puissiéz faire Votre raport à la Duchesse et lui prouver combien Voltaire a tort à mon égard: cepandant, ajoute le Comte, j'ai lieu de croire que tout poura être racomodé: il ajoute encore que la Margrave de Bareuth qui étoit en chemin pour voir le Roi son frère venoit dans ce même dessein: c'est à dire de faire la paix; je ne sais Monsieur si Vous seréz de mon avis, mais je voudrois que Vous m'écrivassiéz une lettre ostensible que je comun[i]querai au Comte de Gotter; je l'avoue et le répète je voudrois que vous fussiéz raccomodé avec le Roi, et je serois charmée que ce fût mon ouvrage: je Vous conjure Monsieur de me dire ce que Vous en penséz; j'aurois presque oubliée que le Comte dit encor que vous aviéz beaucoup plus d'Amis à B. que Maupertuis: mais que jusque ici ils n'avois pas eus le coeur de se montrer ni de parler en Votre faveur: voilà come le monde des Courtisans est fait: cette conduite est insultante pour les princes et injurieuses pour l'humanité: mais malheureusement elle n'est que trop ordinaire; est il vrai Monsieur que Vous avéz écris une feuille, ou un livre, qui a pour titre Apel à toutes les universités d'Alemagne? on l'a anoncé dans les journaux de Leipsig mais après toutes les perquisitions imaginables nous n'avons pus l'avoir.
S'il est de Vous je Vous suplie de me l'envoyer; ce que j'ose Vous conjurer avec bien plus d'ardeur encor c'est de rebrousser chemin, de revenir à nous et d'attendre tranquilement ici les conditions de paix qu'on Vous fera selon toute aparence; l'aimable Buchwald souffre prodigieusement de puis quelques semaines, des meaux de dents, elle Vous ambrasse néanmoins bien tendrement: toute ma famille en fait autant; je salue Vos trentes empereurs et assure leur Divin auteur de toute mon estime, de toute mon affection come la plus sincère de Vos amies et servantes.

LD