à Gothe ce 30 mars 1754
Rien de plus aimable, de plus joli, de plus spirituel que Votre lettre du 16 dc, mais Monsieur si elle me dit d'un côté les choses du monde les plus agréables, les plus flatteuses, si elle m'annonce le second volume de Vos Amales: pour quoi faut il qu'elle me frustre de ma plus chère espérance, du plaisir charment de Vous revoir?
faut il donc absolument que nul plaisir puisse exister sans être accompagné et mêlé d'amertume? et pour quoi faut il que j'ignore les raisons qui Vous empêchent de revenir ici? eh de grâce, mon cher Ami dite les moi, ne me les cachéz point: peut être pourois je lever les obstacles, surmonter les difficulés: Vous ête bien cruel pour être aussi aimable: en vérité Monsieur si Vous ne vouléz pas que je me fâche tout de bon, il faut que Vous me disiéz pourquoi Vous ne sauriéz venir: car je vois très bien que Votre maladie n'est pas l'unique motif qui Vous en empêche; et seroit il possible que Vous puissiéz arriver dans un lieu, sans que les grâces, les muses, le goût et Votre Lyre ne Vous accompagne? rendéz Vous plus de justice, c'est nous en rendre en même tems; je ne Vous parlerai ni m'expliquerai sur la façon de mon portrait Monsieur jusqu'à ce que Vous me parliéz plus clair sur Votre retour.
L'abbé Raynal qui continue à m'envoyer ses nouvelles litéraires m'a parlé à peu près sur le même ton que Vous sur ce poème épique pieu: pour la Cristiade je l'ai re[ç]ue depuis peu, mais j'avoue que je n'ai pas eu encor la curiosité de jetter les yeux dessus; je lis actuellement l'histoire de Charle VI Roi de France écrite par Mdle: de Lussan, assés amusante si elle n'était en neuf volumes.
J'ignore encor coment le chevalier Masson a été reçus de la part du Roi: mais je sais en revanche que Vous avéz écris à la Comtesse Benting tout réçement et qu'elle Vous a répondue; je sais bien plus que cela, je sais que je Vous estime, que je Vous admire et que je suis de tout mon cœur et nullement par compliment
Monsieur
Votre très affectionée amie et servante
LDdG
L'aimable Grande Maitresse m'inquiète beaucoup par ses souffrances: elle ne Vous aime et honore pas moins pour cela.