à Gothe ce 20 d'avril 1754
Mille petites choses difficiles à dénominer, m'ont privée Monsieur du plaisir de Vous écrire: je me flatte que Vous voudréz bien me rendre justice, et être persuadéz que c'est bien malgré moi que j'ai gardée le silence; en attendent Monsieur, j'ai reçues deux de Vos aimables lettres, et le second tome de Vos Amales: j'ai lus et relus tout cela avec un plaisir infini, avec un ravissement inconcevable; je ne sais si j'ai raison, mais il me semble que ce second tome est audessus du premier: ce qui est bien sûr Monsieur c'est qu'il est bien digne du Père de l'aimable Jeane: Vos lettres ne le sont pas moins: mais mes réponses ont honte de paroitre devant tant de lumière; il n'y a que mon Amitié qui soit digne de Vous, et qui mérite quelque retour; si j'aitois bien sûre que ce fût Votre sérieux, j'accepterai avec empressement et de bon coeur les conditions, que Vous me proposéz pour venir ici; j'en excepterai pourtant ne Vous déplaise mon cher et digne Ami, le premier, le second et le cinquième article, par des raisons inutiles d'explications; ah que j'aime et révère cette l'ampe, dont Vous parléz: sa splandeur réjouit mon Ame et éclaire mon foible esprit; que ne puis je la transporter dans le palais de l'amitié et la conserver par mes soins?
Je viens de faire la conoissance d'un de Vos élèves qui idolâtre véritablement Votre géni et Vos talends; c'est D'Arnold qui brûle d'envie de Vous revoir et de regagner quelque part à Votre Amitié; Vous voyéz bien Monsieur qu'il ne sauroit me déplaire puis qu'il Vous a rendu l'homage qui Vous est dûs; il a passé par ici avec le Comte Friss que Vous devéz conoitre par ce qu'il sert la France depuis plusieurs Amés et qu'il m'a dit Vous avoir vus et admiré; l'un et l'autre retournent en France et ne se sont arrêtés qu'un jour.
Je serois extrêmement curieuse de voir cette lettre que Vous avéz la bonté de m'anoncer: ne fût ce que par extrait: Arnold a été quelques jours à Berlin avant de se rendre ici; il paroit avoir de l'esprit et de la vivacité et on m'a fort prisée sa candeur; le caractère du coeur ne se manifeste pas si aisément que les lumières de l'esprit; c'est pourtant le coeur de Masson que le Comte de Gotter a entrepris de protéger auprès du Roi de Prusse; nous verons si le succès répondra à l'attente; j'usque ici on ne me parle que de l'indulgence de la bonté du Roi: Il Vous en faut beaucoup Monsieur pour lire mon barbouillage.
Mon portrait ne tardera plus guère à venir, je Vous prie de le recevoir favorablement et de me croire sans fin
Monsieur
Votre très affectionée amie
Louise Duchesse de Gothe
La grande Maitresse des coeurs ne veut pas absolument être Samson, mais elle veut Vous admirer et Vous chérir à jamais; le Duc et mes enfans en font autant; Vous ête assurément le bien aimé ici.