1754-01-20, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Ah que ne puis je exprimer en vers, ou Vous témoigner en prose la vivacité de la joye et de la reconoissance dont je suis pénétrée, pour tout ce que Vous me dite Monsieur, de joli, d'aimable, et de flateur dans Votre lettre du 12 dc; Vous vouléz que le ciel abrège les jours des sots et des méchants pour ajouter aux miens: cela s'apelleroit à peu près vivre éternellement: j'en craindrois l'enuy Monsieur, j'aimerois infiniment mieux partager ces voeux avec Vous; mais pour me rendre agréable ce qui me restroit de cette longue vie, il faudroit Monsieur que Vous passiéz la plus grande partie de la Vôtre ici: il faudroit encor que la Grande Maitresse des coeurs fût des nôtres; qu'en penséz Vous Monsieur?
Je ne doute point que Vous n'y aquiessiéz; j'accepte avec empressement le legs que Vous vouléz me faire de Votre Jeane, pourvus que Vous voulussiéz le changer, en don entre vivans; je chéris trop Votre existence pour vouloir profiter de Votre mort; ajoutéz y encor Vos trois sermons; je n'ai grâce à Dieu pas besoin d'être convertie, mais en tout cas je n'apellerois pas Votre vieu Baron de Loraine. Pour l'affermissement de ma foy j'apellerois volontier certain apôtre si j'étois sûre seulement qu'il vint; l'aventure du vieu Baron m'a beaucoup fait rire: mais aussi m'auroit elle fait pleurer si Votre lettre du 26 du mois passé ne m'avoit rassurée: toutes les gazettes étès remplies de ce triste événement et l'assignoit au 19 de décembre; Apropos de conversion savéz Vous Monsieur que je me suis fait traduire l'évangile de St Thomas et que je le lis avec beaucoup d'édification; c'est à Vous encor que je dois cette conoissance là, car Vous m'en avéz fait venir l'idée.

Vous ai je dis que cette petite fille d'honeur que Vous avéz vue ici et Loué, vient de se marier à Mr: de Wangenheim qui étoit allors auprès de mon fils Ainé? Celui ci est r'emplacé par un Mr: de Lichtenstein, et la Wursmer par sa soeur, très aimable encor et qui Vous plaira, j'en suis sûre; je compte encor toujour que Vous me procurerai le plaisir de Vous revoir; Votre esprit Monsieur n'a rien de comun avec les feuilles qui tombes, il est au fort de l'été et Votre imagination nous done sans cesse l'idée du mois de may: il étoit bien brilland pour moi l'amée passée, puisse t'il l'être de même celle ci; je voulois justement fermer mon barbouillage quand j'ai la satisfaction sans égale de recevoir Vos Anales: Vous ne sauriéz imaginer la joye et le ravissement que cette aparition me cause, elle ne peut être comparée qu'à ma reconoissance qui est infinie: je tâcherai néamoins de Vous la prouver en partie et je ne m'anquerai pas Monsieur de Vous en doner au premier jour des nouvelles; recevéz en attendant avec bonté les assurences de mon Amitié, celles de toute ma famille qui Vous chérit, et une tendre ambrassade de ma meilleure Amie, qui Vous aime presque autant que je suis

Votre sincère amie

LDdS