à Gothe ce 10 d'octobre 1754
Nous some de retour d'Altenbourg depuis quinze jours, et il n'y a eu, je Vous l'avoue Monsieur, que m'a sote discrétion qui m'aye pus priver de la satisfaction de Vous écrire: sans elle tout m'invitoit à rompre un silence qui ne coûtoit que trop à mon coeur: Votre Amitié vient de faire ce dont la miene Vous a mille obligation; je n'avois pas besoin de la prévision de Maupertuy pour sentir d'avance que ce seroit prophaner Votre société, Votre esprit, et Votre goût que de Vous faire venir à l'endroit que je viens de quiter: j'y ai été assaillie du matin au soir et tous les jours que j'y ai passée de la manière du monde la moins agréable: Votre présence m'auroit mise dans le cas de Tantale: et au lieu de me soulager elle m'auroit d'autant mieu fait apercevoir les contrastes; Pour Le présent Monsieur Votre conversation me feroit un bien extrême: mais je vois bien, par tout ce que Vou me dite que pour cette amée il faut que je renonce à cette douce espérance; Dans Votre absence rien ne me sauroit être plus cher, plus agréable et plus flateur que Vos aimables enfans: je les attens, et les attendrois toujour, à brats ouverts: ne tardéz donc pas à me les envoyer; je veus un bien infini et j'aime véritablement cette charmente nièce qui a tant de soin pour la vie et la conservation d'un home que j'estime au de là de l'expression; témoignéz lui je Vous en conjure Monsieur ma tendre reconoissance.
Ne me dite rien contre le Siècle où nous vivons: il est le siècle d'or pour moi, depuis que j'ai l'avantage Monsieur de Vous conoitre et de me flatter de Votre Amitié: quand il est question d'amitié la grande Maitresse des coeurs, se présente d'abord à mon coeur et à mon esprit: elle n'a pas vécue dans les siècles passés, ni vivra pour moi, dans les siècles futurs: je ne puis donc encor que louer et préférer celui où nous vivons; Le voyage d'Altenburg a fait plus tôt du bien, que du mal à la santé de mon incomparable Amie: elle m'y a été come par tout d'un grand secour: elle Vous estime et Vous affectione toujour de même, c'est à dire infiniment; nous avons bien ris de trouver dans les gazettes que Vous Vous étiéz jettez dans un couvent: je ne sais Monsieur si je me trompe mais je Vous soupsone Vous même de l'avoir fait mettre tout come Vous avéz fait prier ce bon dévot pour le repos de Votre Ame.
Le Duc et mes enfans Vous ambrassent d'inclination et me chargent de mille complimens pour Vous. Je suis de tout mon coeur et avec toute l'admiration dont je suis capable
Monsieur
Votre très affectionée amie et servante
Louise Duchesse de Gothe
De grâce n'oubliéz pas Monsieur de m'envoyer au plus tôt la tragédie que Vous avéz la bonté de m'anoncer.