1754-03-09, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Je n'aurois pas attendue Votre seconde lettre, avant de Vous répondre sur la première, si je n'eusse été incomodée d'un gros Rhume, qui à l'heure qu'il est n'est pas encor entièrement passé; mais il m'est impossible Monsieur de me priver plus longtems d'un plaisir, qui me procure tant d'autres: car en Vous répondant je me flatte toujour et non sans fondement, de m'attirer une nouvelle lettre de Votre part: avantage que je ne donerois pas pour tout un empire et que je troquerois volontier contre la satisfaction de Votre présence.
Vous jettéz loin cette espérance Monsieur, et malgré cela je n'y renonce nullement, au contraire je l'attens du retour du beau tems et de Votre chère Amitié; en vérité Monsieur Vous devriéz quiter un lieu où tout Vous menace et où je tremble pour Vous; si notre Maison a ressentie le couroux de Votre Eglise, que n'avéz Vous à craindre? Vous qui lui faite plus de tort que Luther et tous ses partisans: Luther n'a qu'un peu ébranlé l'édifice et Vous le sapéz; Les Martyrs ne sont plus à la mode: le parti le plus Sage est de fuir la persécution: que notre châtau de la paix et de la tranquilité Vous serve d'Azile: Vous y seréz reçus à bras ouverts, avec empressement, avec cordialité: l'excomunication est bien le moindre mal que je crain pour Vous mon cher Ami; j'aime beaucoup mieux Monsieur Vous rendre mon portrait en mains propres que de Vous l'envoyer: je doute un peu de sa vertu tout come je doute de l'efficacité de l'eau bénite; les périls se voyent avec plus de sûreté de loin que de près: j'en appele à certain héros auquels on ne refuse pas l'épithète de grands et de Sages;

Je Vous avoue Monsieur que je suis charmée d'aprendre que Vous n'ayéz plus besoin du manuscrit: il m'est trop cher pour pouvoir le laisser sortir d'entre mes mains sans inquiétudes, ce ne sont pas les Vôtres dont je me m'éfie: mais les accidens qui peuvent arriver en chemins. Vous prendréz peutêtre ma lettre pour une preuve de ma poltronerie: il est vrai qu'elle est remplie de peur, d'apréhension et de soupson: cepandant je Vous le proteste que ce n'est pas la pente naturelle de mon Ame: elle en a une autre qui est Monsieur de Vous admirer et de Vous chérir.

Toute ma famille en fait autant, j'y compte la Grande maitresse des coeurs qui m'apartient et par raison et par inclination et m'est plus proches que bien de parents.

J'aurai soin que le changement que Vous venéz de faire pour Lothaire second soit marqué.

Ah que ne puis je entendre lire l'histoire de Charles sept: et par qui? cela s'entend sans dire: et l'aimable Jeane: je n'ose plus en demander copie de peur de devenir importune: mais j'ai bien le coeur de Vous demander la continuation de Votre amitié en faveur de celle que je Vous porte et qui me rend: non par compliment mais véritablement

Monsieur

Votre très affectionée amie et servante

LDdG