1762-12-31, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Il ne sera pas dit que j'aye finie cette Anée sans Vous avoir assurés Monsieur de mon Amitié, sans Vous avoir témoignés que je faits mille voeux pour Votre conservation et pour Votre bonheur, et sans Vous avoir demandés la continuation de Votre cher souvenir.
On pouroit aisément Monsieur Vous dire cela plus éloquament mais je défie toute la terre de le penser avec plus de cordialité et plus d'ardeur. Notre corespondance n'a pas été aussi exacte cette Anée que les autres. J'aime à me persuader Monsieur qu'il n'y a ni de Votre faute ni de la miene. Attribuons donc je Vous prie cette irégularité aux circonstances de la guerre et non à notre inconstance. Je me flatte volontier que plussieurs de Vos lettres ont étés perdues et que les mienes n'ont pus Vous parvenir parceque j'ai crains de Vous importuner. J'espère et je souhaite que la paix une fois rétablie ma petite archive s'enrichira et sera ornée par Vos charmentes lettres.

Cette paix tant désirée a donc enfin été conclue entre la France et l'Angletere. Si là l'Angletere n'i gagne pas infiniment du moins sa modération s'y manifeste d'une manière palpable, et la modération est toujour une belle Vertu qui plus elle est rare et plus aussi elle est digne d'éloges. En attendant l'Allemagne souffrante et dévastée soupire encor après sa délivrance. Elle voit dans le lointain et avec des yeux d'envie fleurir cet heureu arbre dont elle voudroit arracher une branche. Hélas Monsieur qui sera le généreu mortel qui nous l'aportera? Vous ignorés peutêtre que nous avons eus l'honeur de posséder dans nos murs pendant vingt quatre heures le grand Federic. Je voulois Vous le mander d'abord, je m'en étois fait un véritable plaisir et je n'ai pus parvenir à m'aquiter d'un si agréable devoir. Son esprit est toujour le même, grand, brillant, et séduisant. Il nous a acueillis avec tant de bonté et de politesse, que je ne puis assés Vous l'exprimer. Mais pour son extérieur je l'ai trouvé beaucoup viellit. Ce qui nous a procuré sa présence étoit qu'il se croyoit obligé de faire la revue de son Cordon, ce qui le mena tout droit à Gotha. Je lui ai parlé de Vous Monsieur et lui ai dit que Vous étiés l'ami et le protecteur charitable de la pauvre famille des Callas, ce qu'il ignoroit totalement. J'en étois surprise parce que j'imaginois que vous étiés toujour en corespondance. Votre Corneille sera t'il bientôt rendu public? Je brûle d'envie de le voir paroitre, come de tout ce qui émane de Votre divine plûme. De grâce Monsieur ne m'oubliés pas, je Vous chéris trop pour pouvoir suporter un pareil abandon. Le Duc et mes enfans Vous embrassent Monsieur avec estime et avec tendresse. Ma chère, ma bone Amie la Buchwald est constament Votre admiratrice et Votre entousiaste. Nos âmes sont à cet égard come à mille autres très fortement à l'unisson. Recevés en les assurences avec bonté et croyés moi sans fin Votre fidelle amie et servante

LD