à Gotha ce 9 juillet 1763
Il n'y a en vérité Monsieur ni ostentation ni vertu dans ce que j'ai fait pour les pauvres Calas.
Le don est trop mince pour m'avoir pû coûter beaucoup d'effort et pour produire un grand bien. J'avoue que cette famille infortunée me touche infiniment, mais aussi faudroit il avoir un coeur d'airin pour ne se pas attendrir sur le tablau terible de son sort, ou pour ne pas désirer de pouvoir contribuer au gain de sa juste cause. C'est bien Vous Monsieur qui mérités le titre de son protecteur généreu, de son Ange tutélaire, C'est bien Vous qui êtes le soutient de l'inocence oprimée. Si je pouvois ou voulois Vous envier ce seroit précisément dans ce cas ci et dans aucun autre. Mais je ne puis que Vous admirer et Vous rendre justice. On n'est guère louable quant on ne fait pas come les autres n'en ayant ni le pouvoir ni la puissance: peut être que je ne ferai pas mieux si j'avois cent cinquante mille homes agueris à ma disposition. Il n'y a souvent que l'ocasion qui nous manque pour faire des sotises et des extravagances. Et l'on passe quelques fois pour sage par ce que le repos et peutêtre l'indolence convient plus à notre goût que l'activité et l'intrigue. L'on est toujour heureu quant on ne cherche ni ne trouve le moyen de faire du mal. Je suis charmée d'aprendre que Jean Jaque soit rétabli dans sa patrie come citoyen. C'est ainsi au moins que j'explique l'anecdote que Vous avés la bonté Monsieur de me mander. Je pense sur le chapitre de Roussau come ces bones gens, qu'il soit crétien ou non je l'estime de tout mon coeur parce que je le crois de bone foy un véritable honet home. Milord Marchal que j'ai vûs ici il y a quelques semaines en fait son idole. Peutêtre que Milord Marchal n'est pas chrétien non plus, quoi qu'il en soit la tolérance est ce qu'il y a de plus sencé et de plus humain. Je Vous demande beaucoup d'indulgence pour mon bavardage. Je ne puis finir quand je Vous parle. Il me semble que je vous vois et que je Vous entens quand j'ai la satisfaction de recevoir de Vos adorable lettres. Après Votre présence rien ne me fait tant de plaisir que Votre charmente écriture. Si je ne craignois de Vous importuner Vous auriés bien souvent de mes nouvelles. J'oubliois Monsieur de Vous dire que Milord Marchal a passé par ici pour se rendre auprès du Roi de Prusse où Mr: d'Allambert se trouve actuellement aussi. Ma famille est bien sensible à Votre souvenir et l'aimable Buchwald la grande maitresse de mon coeur et du Vôtre Vous présente son homage, elle Vous admire et chérit bien constament. J'en fais autant Monsieur c'est là mon unique mérite.
D.