à Gotha ce 30 Décembre 1765
Soyés persuadés Monsieur, que c'est toujour avec un plaisir infini que je reçois les chères marques de Votre souvenir flateur et que c'est avec d'autant plus de peine que je m'en vois frustrée, que Vous dite Vous même que Votre silence est l'effet de Votre mauvaise santé.
La miene devient de jour en jour plus chancelante. Je viens encor de relever d'une grosse fièvre, qui à la vérité n'a durée que deux jours, mais qui à l'heure qu'il est m'a laissée un fond de foiblesse. Je ne Vous suis pas moins redevable Monsieur des vœux favorables que Vous daignés m'adresser à l'ocasion d'une nouvelle Anée. Je pense souvent et me rapelle avec satisfaction les moments agréables que j'ai passée dans Votre séduisante société. Puissiés Vous vivre aussi longtems et aussi heureusement que je le souhaite avec ardeur, et Vous parviendriés mon digne Ami à l'âge de Nestor et Vous seriés le plus fortuné des mortels. Il est vrai que le nord de l'Allemagne n'est pas dans des ténèbres aussi épaisses que l'Allemagne méridionale, mais hélas où est le païs et la tête humaine, où l'erreur ne se glisse pas? L'illusion me paroit come ces atomes de poussières, que la lumière fait mouvoir, et qu'on voit voltiger dans les rayons mêmes. L'on seroit néanmoins ingrat si l'on ne reconoissoit le bienfait, et avoit obligation au bienfaiteur qui nous a mis à l'abri des jésuites et des Capucins. La vérité et la liberté ne sont assurément pas une chimère, quoi qu'en disent plussieurs philosophes. Ce sont des biens nécessaires et désirables pour le bonheur de l'humanité, mais bornés come elle; et nous n'en pouvons jouir que par parcelles. Excusés s'il Vous plait mon bavardage, je ne puis arêter ma plûme quand une fois je la mets en mouvement pour Vous. Il en est de même de mon coeur, il trote à Votre honeur et gloire, et tant qu'il respire il souhaite Votre félicité et Votre Amitié. Toute ma famille ainsi que ma chère Buchwald en fait autant, et nous Vous admirons et chérissons pour la vie.
J'ai vus Pierre Calas qui m'a vivement touché et m'a retracé avec plaisir l'image de Votre bienfaisance. Il est impossible de ne pas penser à Vous en le voyant, et il est impossible de le considérer sans répendre des larmes.
LD