ce 9 juin 1759
Si j'eusse pus prévoir que l'oraison du Cordonier seroit imprimé, je Vous aurois sûrement épargnés la peine de m'en faire un extrait; mon obligation Monsieur n'en est pas moins parfaite pour cela et Vous pouvés compter que j'ai lus Votre extrait avec d'autant plus de plaisir que j'ai remarquée qu'il contient tout ce qu'il y a de plus beau, de plus pathétique et de plus frapant dans ce Singulier Sermon.
Il n'y avoit que peu de jours auparavant que cet imprimé me fut parvenu l'orsque j'eus Monsieur la satisfaction de recevoir Votre charmente lettre du 22 du mois passé. Je ne sais ce qui retarde l'arivée de Vos aimables lettres, mais sûr est il qu'elles s'arêttent longtems en chemin et que cette lenteur m'impatiante souvent quoique je n'en sache aucun remède. Il n'y a qu'une Minerve qui soit sortie du cervau de Jupiter, mais toutes les productions du Panégiriste cordonier ressemblent à leur auteru, à un point que selon moi on ne sauroit s'y méprendre. Les opérations de guerre de cette Anée ci ne resemblent pas à la vérité à celles des Anées précédentes, cepandant l'effet pour nous, pour le spectateur est toujour le même, il surprend, il étone. L'entrée en Franconie du Prince Henry a jeté l'effroi dans les trois quart de l'Allemagne. Sans avoir été obligé par l'enemi de se retirer, il a fait un séjour très court dans cette contrée et est de retour en Saxe depuis plussieurs jours. L'on dit même que ce corp de troupes comendé par le Prince vas tout droit contre les Russes. C'est avec beaucoup de précition et selon l'étiquete de la chancelerie impériale que Vous només Monsieur l'armé de l'empire Armée d'exécution. Elle est à présent un peu trop isolée car l'on assure que tout ce qu'il y avoit d'impériaux a eu ordre de s'en séparer et d'aller en Boheme. Tout ce qui se fait dans le cour de cette campagne paroit étrange. L'armée de France sous les ordres du Maréchal de Contade avance vers la Hesse tandis que Le Prince Ferdinand s'en éloigne et s'aproche du bas Rhin. Le Duc de Broglie a fait manquer le projet du Prince Ferdinand en gagnant la battaille à Bergen, et néamoins il quite l'armée parcequ'on le rapelle en France. Tout cela est aussi incompréhensible que les voyes de la providence, et aussi vrai que l'existence du meilleur monde. Je souhaite toujour avec empressement de Vous revoir malgré les difficultés que Vous m'y oposés. La chère grande Maitresse le désire avec plus d'ardeur encor qu'elle ne fait des voeux pour la paix, elle Vous admire et Vous chérit infiniment; je ne lui cède pas dans tous ces sentimens, pas même au Duc ni à mes enfans qui Vous honorent et Vous aiment bien fortement aussi. Conservés moi Votre Amitié en faveur de celle que je Vous ai vouée pour la vie.
LD